Espace de libertés | Décembre 2019 (n° 484)

Édito

« L’inquiétant retour de l’extrême droite en Allemagne », « L’extrême droite devient le troisième parti en Espagne », « Pour la première fois, le Vlaams Belang arrive en tête en Flandre ». Combien de titres de presse de ce genre devrons-nous encore lire ? La démocratie va-t-elle laisser se refermer sur elle le piège qui se love au sein même de son fonctionnement de base, quitte à se laisser enterrer ?

À l’instar de l’inertie observée face au dérèglement climatique, dont les scientifiques nous disent qu’il pourrait avoir notre peau, l’indignation semble être le seul soubresaut un peu tiède qui s’affiche sur nos encéphalogrammes face à la montée de l’extrême droite en Europe, pays après pays. Tout comme pour le climat, attendons-nous que la catastrophe s’étende ? Faut-il qu’elle atteigne une masse critique de personnes ? Qu’elle touche à nos droits fondamentaux ? Que dis-je : encore plus ? J’en entends déjà certain.e.s affirmer avec une pseudo-bienveillance qu’il ne faut pas s’alarmer, que l’époque n’est plus la même que celle qui a vu les régimes autoritaristes s’installer en Europe. Ce qui est vrai ! Comparaison n’est pas raison. Mais pour les Saint-Thomas en puissance, nous rétorquons que quand l’extrême droite arrive au pouvoir, elle réactive des mécanismes malheureusement connus. Et que les faits sont là.

Au Brésil, Bolsonaro s’attaque à la connaissance, en supprimant le ministère de la Culture et les subventions aux facultés de psychologie des universités. En Hongrie, les juges en place ont été obligés de démissionner dès l’arrivée au pouvoir d’Orbán, qui s’est ensuite attaqué aux médias et aux ONG. Justice et société civile sont désormais muselées. Et un mur de barbelés bloque également la route aux migrants. Tout cela, en moins de dix ans. En Pologne, depuis que les frères Kaczynski ont fait main basse sur le pays en 2015, les droits des femmes, entre autres, ont régressé, la Justice et les médias confiés à des proches du régime, ainsi que les instances culturelles… Tiens, tiens.

Ce sont finalement toujours les mêmes « lieux iconiques » qui sont instrumentalisés par les extrémistes et nationalistes en tout genre : la justice, l’immigration, les femmes, les médias et la culture. Et si à l’étranger, plusieurs pays ont passé le pas, le décompte semble aussi avoir commencé dans la moitié Nord du pays. Avec la création d’un ministère flamand de la Justice et une coupe abyssale dans le financement du secteur culturel, on peut craindre la suite. Justice, culture. Tiens, tiens… Cela ne vous empêche pas de dormir ? Le bruit de sourdine que distille « la bête » n’atteint pas vos oreilles ? Pour ma part, cela a atteint le stade d’acouphènes, ces sifflements intra-auriculaires terriblement désagréables. Il est urgent de ressortir le triangle rouge. Et d’agir, dès le plus jeune âge en rappelant l’importance de la démocratie et de ses rouages dans les cours de citoyenneté. En mobilisant la société civile et bien entendu nos associations laïques, pour contrer ce glissement silencieux. En utilisant la désobéissance civile lorsque notre conscience nous le dicte. Et en utilisant la solidarité de tou.te.s celles et ceux qui se rendent compte qu’il est urgent de dire non !