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Belgique. Deux militantes pour le droit à l’IVG poursuivies en justice et innocentées: une victoire pour les droits des femmes

Belgique. Deux militantes pour le droit à l’IVG poursuivies en justice et innocentées:  une victoire pour les droits des femmes

Fin 2016, Carolina et Louisa (1), deux militantes pour le droit à l’IVG et travailleuses en centre de planning familial, sont inculpées. Leur crime ? Avoir voulu aider des femmes chiliennes en apportant et distribuant quelques boîtes de médicaments abortifs au Chili à l’occasion d’un voyage privé. Soutenues par le Centre d’Action Laïque, elles ont fait face à une longue procédure judiciaire et ont finalement été innocentées en janvier dernier. Pour le Centre d’Action Laïque, aider des femmes et leur éviter la mort doit être reconnu comme une action humanitaire, de solidarité et non poursuivi comme un délit.

Le Centre d’Action Laïque milite depuis des dizaines d’années pour que toutes les femmes aient accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Force est de constater que cet objectif est loin d’être atteint: la pénalisation de l’IVG ainsi que le manque de solidarité envers les femmes qui n’ont aucun droit à l’IVG reste une réalité …  En 2021, deux femmes qui se sont montrées solidaires ont été traduites en justice, ici, en Belgique. Voici leur histoire.

Tout commence en 2016, après un débat au Festival des Libertés, organisé par Bruxelles Laïque. À cette occasion, Carolina commente avec d’autres expertes, sur la scène du Théâtre National, le film de Fernando Lopez Escriva “The abortion hotline” qui traite de l’avortement au Chili.

Ce documentaire met en lumière les filières mafieuses qui vendent à des prix prohibitifs des médicaments abortifs, ou même de faux médicaments. Pour rappel, jusqu’en 2017, l‘avortement est complètement interdit au Chili. À cette date, la loi chilienne a été légèrement modifiée, autorisant l’IVG dans de très rares cas : risque de mort pour la femme enceinte, viol mais uniquement si la victime a immédiatement porté plainte ainsi que dans les cas où le fœtus est atteint d’une grave malformation.

En conséquence, chaque année, au Chili, des dizaines de milliers d’avortements clandestins (entre 60.000 et 200.000 ) mettent en danger la vie et la santé des femmes.

Carolina qui travaille dans un centre de planning familial à Bruxelles et fait partie du Groupe d’Action des Centres Extrahospitaliers Pratiquant l’Avortement (GACEHPA) est mariée depuis de nombreuses années à un Chilien avec lequel elle a deux enfants. Face à la situation décrite dans le film, elle sort bouleversée de la projection. C’est la fin de l’année, des vacances sont prévues dans sa belle-famille. Alors elle décide d’agir concrètement et demande à l’une de ses collègues, Louisa, co-fondatrice de l’ONG féministe Women help Women de l’aider à trouver des médicaments génériques. Louisa a l’habitude de traiter avec une firme indienne qui fournit gratuitement aux associations des médicaments abortifs de bonne qualité. Les deux amies en commandent donc chacune quelques boîtes que Carolina compte emporter avec elle pour les distribuer au Chili.

C’est le début d’une saga de quatre longues années, marquées par un stress permanent et des tracas judiciaires inimaginables en Belgique au 21ème siècle !

Car en décembre 2016, leurs deux colis sont saisis à la douane par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé. Ils contiennent chacun dix kits de médicaments abortifs et quarante comprimés de Misoprostol, des produits qui diminuent considérablement les risques liés aux avortements clandestins et donc le taux de mortalité des femmes. À la suite de cette saisie, au petit matin, des policiers se rendent aux domiciles des deux femmes:  perquisition ! Convoquées ensuite pour de longs interrogatoires à la police, les deux militantes sont ensuite inculpées. Le Parquet requiert rien moins que cinq chefs d’accusation : association de malfaiteurs, importation sans autorisation de médicaments abortifs, achat ou importation de médicaments abortifs non conformes, mise sur le marché de médicaments sans autorisation et exercice illégal de l’art pharmaceutique.

Le Ministère public s’est entêté à poursuivre les deux militantes pendant près de 4 ans et ce n’est finalement que le 5 janvier 2021, que la Chambre du Conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu son jugement. Les prévenues ont été innocentées : non, elles ne sont pas des malfaitrices ayant usurpé l’art pharmaceutique ou mis en danger la vie des femmes !  Pour l’importation sans autorisation de médicaments, la juge a reconnu des circonstances atténuantes : le fait que leur action était basée sur la volonté d’aider des femmes en état de nécessité. De correctionnelle, l’infraction est devenue justiciable des tribunaux de police, ce qui a permis de constater la prescription de l’action publique.

Quel soulagement !

Dès le début, le Centre d’Action Laïque a soutenu ces deux militantes face à ces lourdes accusations et a engagé des avocats qui les ont défendues bec et ongles face au Procureur du Roi. La ligne de défense visait non seulement à disculper les prévenues, mais aussi à faire passer un message clair : aider des femmes et leur éviter la mort doit être reconnu comme une action humanitaire, de solidarité et non poursuivi comme un délit. Lors de l’audition du 12 novembre 2020 qui a précédé le jugement, Carolina a tenu à prendre la parole : « Je n’en reviens toujours pas que Louisa et moi sommes là devant vous, et pas les personnes qui causent le vrai problème : ceux et celles qui sont responsables du fait que les femmes chiliennes, par manque de législation, doivent recourir à des avortements dans la clandestinité, et aussi ceux qui profitent de cette situation et s’enrichissent sur le dos des femmes et filles en détresse et précarisées. »

Il faut le rappeler : nos deux inculpées ont été traitées par la justice belge comme si elles étaient de potentielles criminelles, alors que depuis des années, dans le cadre de leur profession, elles travaillent à soutenir et à soulager des femmes victimes de violences, toutes sortes de violences.

En guise de conclusion, nous tenons à répéter que le refus d’accès à l’IVG provoque des grossesses forcées, et qu’une grossesse forcée est une violence envers la femme qui n’en veut pas ! En l’absence de soins médicaux, les femmes recourent à des avortements clandestins à haut risque.  L’OMS en dénombre  25 millions chaque année dans le monde, ainsi que 7 millions de femmes hospitalisées à la suite d’avortements à risque.  Parmi ces femmes, près de 40.000 décèdent tous les ans, laissant le plus souvent derrière elles des enfants orphelins (2).

En solidarité envers les femmes et leurs familles, Le Centre d’Action Laïque continue et continuera à lutter pour améliorer les législations existantes ainsi que pour prévenir les avortements non médicalisés où que ce soit dans le monde.

 


(1) Prénoms d’emprunts
(2https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/preventing-unsafe-abortion

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