Cartes Blanches

Dépénalisation de l’IVG : restons vigilants !

Dépénalisation de l’IVG : restons vigilants !

Avortement : les femmes décident

Slogan de la journée des femmes, 1976

Le 3 avril 1990, la Belgique votait sa loi sur la dépénalisation partielle de l’avortement; elle reconnaissait ainsi explicitement le droit des femmes à disposer de leur corps, après des décennies d’obscurantisme.

Osons le dire: si la dépénalisation de l’avortement est un combat féministe, c’est aussi un combat laïque par excellence, et l’un des plus emblématiques. Au centre du débat, la valeur qui est ici prioritairement défendue, c’est l’émancipation. En l’occurrence, celle de la femme, de toutes les femmes, de par le libre choix qu’elles exercent sur leur corps et leurs conditions d’existence. L’émancipation vise à l’autonomie et à la responsabilité individuelle. En perspective, ce qui est en jeu, c’est l’égalité des femmes et des hommes, par un même respect de l’intégrité physique et psychique.

On se souvient des circonstances dans lesquelles la loi fut votée, le Roi refusant de signer le texte – ce qui avait conduit à l’invraisemblable recours à l’impossibilité momentanée de régner, une disposition constitutionnelle détournée, destinée initialement à pourvoir au remplacement du roi en cas d’impossibilité – physique ou psychique – d’exercer les fonctions royales.

Rappelons que selon la loi de 1867, l’IVG était un « crime contre l’ordre des familles et la moralité publique ». La loi nataliste de 1923 interdisait, elle, toute publicité sur la contraception. Dans un tel contexte, les multiples propositions de dépénalisation se sont heurtées à l’omniprésence politique du parti catholique au pouvoir. Il faudra toute l’opiniâtreté des Willy Peers, Jo Boute, Pierre-Olivier Hubinont, Jean-Jacques Amy… pour faire évoluer les mentalités, puis de Roger Lallemand et de Lucienne Herman-Michielsens pour enfin abroger la loi de 1867: une nouvelle loi dépénalisant partiellement l’avortement voit donc le jour. Nous en célébrons ces jours-ci le 20e anniversaire.

À l’heure où des groupes religieux tentent de reprendre la main et d’ébranler le principe de la séparation des églises et de l’État, ce n’est sans doute pas un hasard si, depuis 2004, plusieurs propositions de loi visant à humaniser le deuil des couples confrontés à la perte d’une grossesse  projettent en réalité d’humaniser le fœtus à partir de 12 semaines – ce qui pourrait maquiller une éventuelle tentative de remettre en cause les droits acquis en raccourcissant la durée au cours de laquelle une IVG peut être pratiquée.

Cette crainte est justifiée au regard des réalités vécues dans plusieurs pays européens. La Pologne, Malte, Chypre et l’Irlande, ne reconnaissent pas le droit à l’avortement. Quant à l’Italie ou l’Espagne, où l’IVG est dépénalisée, la pression exercée sur les médecins est telle que la plupart refusent de les pratiquer. Certes, le rapport de Marc Tarabella sur l’égalité entre les hommes et les femmes – qui reconnaît à ces dernières un accès aisé à la contraception et à l’avortement – a été adopté récemment en plénière par une majorité confortable de députés européens, ce qui constitue une victoire essentielle dans la lutte pour nos libertés. Attention toutefois que ce ne soit pas l’arbre qui cache la forêt.

La situation de ces pays est d’autant plus intolérable que le maintien de l’avortement dans l’illégalité n’en réduit pas le nombre ; mais il favorise l’avortement clandestin ou non médicalisé. Nous ne pouvons oublier que, dans le monde, quatre-vingt mille femmes meurent chaque année des suites de ce type d’avortement. La dépénalisation et un accès libre, facile et informé à l’avortement pratiqué dans de bonnes conditions sont nécessaires au respect de droits fondamentaux : celui des femmes à disposer de leur corps et le droit à la santé et aux soins que chaque État doit garantir à toutes les femmes, sans distinction.

Dans ce contexte mitigé, plusieurs associations très impliquées dans les questions de planning familial, de liberté individuelle et de santé publique, ont décidé de s’associer pour sensibiliser l’opinion, à la fois au contexte historique qui a permis à la loi belge sur l’IVG d’exister, mais aussi aux menaces qui pèsent sur elle et qui appellent à la vigilance. Ce sera l’objet de la marche pour le droit à l’avortement en Europe (1) et du  colloque « De la subversion au droit » (2) qui se tiendront ce jeudi 1er avril.

 

Pierre Galand, président du Centre d’Action laïque, CAL

Anne Spitals, présidente de la Fédération des centres de planning familial des FPS

La Fédération Laïque des Centres de Planning familial, FLCPF

Le Groupe d’Action des Centres extrahospitaliers pratiquant l’avortement (GACEHPA)

L’Université des Femmes


(1) Marche: départ à 10 heures, devant l’ambassade de Pologne, rue des Gaulois 29, 1040 Bruxelles

(2) Faculté de Médecine ULB, Campus Erasme, Auditorium J, à 16 heures.

 

 

Cette carte blanche a été publiée dans Le Soir, le 29 mars 2010

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