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Fabrique des lois, mode d’emploi : rencontre avec Philippe Mahoux et Jean Blairon

Fabrique des lois, mode d’emploi : rencontre avec Philippe Mahoux et Jean Blairon

Comment se fabriquent les lois qui régissent la vie en société ? Bref, les règles qui nous concernent tous.tes ? Avec De la fabrique des lois on plonge au cœur du processus parlementaire au travers de l’expérience du sénateur socialiste Philippe Mahoux, sous le regard plus sociologique de Jean Blairon. Une démocratie parlementaire que défendent les auteurs de ce livre issu d’un travail de terrain d’une trentaine d’années. Interview croisée.

Fabriquer une loi, c’est un processus relativement long. Comment les propositions arrivent-elles dans la « machine parlementaire » ? S’agit-il de sujets qui traversent la société ou d’autres paramètres entrent-ils en ligne de compte ?

Philippe Mahoux : Il s’agit d’une série d’éléments de nature collective qui concernent l’ensemble de la société, même s’ils peuvent avoir une portée individuelle. L’on tente alors à travers les lois, et de toutes les législations d’ailleurs, de les résoudre selon des principes tout à fait généraux : des principes de liberté, d’égalité et de solidarité.

Le sujet doit-il être « mûr » pour arriver à une proposition de loi, notamment en matière d’éthique ?

PM : Je ne pense pas que les problèmes doivent être mûrs, l’initiative parlementaire est aussi une forme de mûrissement. Ensuite, il existe un rôle extrêmement important au niveau des répercussions dans la sphère publique, qui dépendent notamment du retentissement que les initiatives parlementaires ou le travail sur le plan politique, reçoivent de la part des médias.

Est-ce important, à l’heure de la décrédibilisation du politique et de l’avancée du populisme, de rappeler la force du processus démocratique législatif ?

Jean Blairon : J’ai été frappé, en étudiant l’ensemble des 100 lois déposées par Philippe Mahoux, du fait que le travail parlementaire permettait lui aussi une maturation dans le changement opéré dans la vie des gens. L’implication des parlementaires dans cette maturation est largement méconnue. Et de fait, je pense qu’il faut faire un plaidoyer pour la démocratie représentative, puisque sans elle, je ne vois pas comment pourraient mûrir suffisamment de questions d’intérêt général.

Dans le livre vous dites que s’attaquer à nos élus, c’est prendre la question par un mauvais côté, que le problème n’est pas là. Qu’avez-vous voulu dire ?

JB : Ce que l’on a voulu mettre en lumière, c’est que le travail parlementaire nécessite ce que l’on a appelé à tort ou à raison un sens pratique particulier, qui s’acquiert dans la durée et l’expérience, et que s’attaquer à cela en tant que tel c’est se tromper totalement d’adversaire. Par contre, interroger la connexion du travail parlementaire avec les questions qui se posent dans la société et plus encore la traduction de ces questions en problèmes politiques, il faut le faire ! Il vaudrait mieux s’attaquer à cela que de se focaliser sur les élus, qui sont des porte-paroles de groupes.

PM : Finalement, le populisme s’engouffre via le bashing politique en utilisant cet outil très puissant qu’est la démocratie, pour s’asseoir dessus. La démocratie parlementaire n’est peut-être pas la 7e merveille du monde, mais sur le plan des principes, il s’agit de savoir si en défendant des méthodes alternatives de démocratie directe par exemple, on met forcément en cause cette démocratie parlementaire, ainsi que le processus électoral. Car non, l’élection n’est pas un piège ! La démocratie parlementaire ne consiste pas seulement à faire des propositions, des modifications législatives, mais aussi à contrôler l’exécutif. C’est même un élément extrêmement important. Ayant participé à des supervisions électorales dans beaucoup de pays du monde, je suis étonné que, dans ce que l’on appelle les démocraties avancées, on remette en question la légitimité même de l’élection et du travail de démocratie représentative. Il peut cependant y avoir des compléments entre les périodes électorales. Il existe notamment des mécanismes de vérification de l’efficacité du travail parlementaire et des possibilités d’expression citoyenne en dehors des périodes d’élections. Mais il ne faudrait pas croire que les formes de collectivisation, la création, l’existence même de structures intermédiaires vont à l’encontre du pouvoir du citoyen. Je ne le pense pas.

Dans votre livre, vous évoquez les nombreuses propositions de loi que vous avez portées. Quelle est celle qui vous a le plus marqué ?

PM : Je ne vais pas choisir parce qu’elles sont diverses et que l’on parle généralement de problèmes éthiques. Et l’on donne une définition au champ éthique qui est restrictif, car l’organisation de la société, de la sécurité sociale, finalement c’est une vision éthique de la société. Mais je dirais que c’est vrai que l’ensemble des propositions qui ont trait à l’évolution de la société, qui ont un impact sur son organisation, sur l’ouverture d’un espace de liberté, sur une égalité plus importante pour reprendre les valeurs traditionnelles qui sont chères à la laïcité et qui développent et mettent en avant l’importance de la solidarité me paraissent importantes.

JB : Moi ce qui m’a frappé c’est l’énorme diversité du corpus, et en même temps sa cohérence, ce qui n’est pas incompatible. Il y a vraiment une diversité de centres d’intérêt et c’est là que l’on voit qu’effectivement le travail parlementaire peut être tout à fait sensible aux questions qui traversent et qui agitent la société, et que cela peut être traité avec une grande cohérence. Et j’ajouterais une chose : je ne m’y attendais pas et j’ai été extrêmement surpris par la qualité, l’intensité et l’approfondissement des débats qui conduisent à l’adoption d’une loi. J’ai été très, très impressionné par ça.


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Philippe Mahoux

Docteur en médecine et chirurgien. Sénateur socialiste (1991-2017), il a été ministre de l’Éducation et de l’Audiovisuel (1994-1995). Engagé dans l’associatif et l’humanitaire, il a aussi exercé des responsabilités au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

 

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Jean Blairon

Jean Blairon est docteur en philosophie et lettres. Il est expert associé pour l’association d’éducation permanente RTA à Namur qu’il a dirigée de 1995 à 2015. Il y réalise des recherches et des études critiques en s’appuyant sur l’analyse institutionnelle et la sociologie.

 

 

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