
Ce jeudi, sauf soubresauts liés à l’actualité gouvernementale, devrait être votée à la Chambre la loi concernant la déclaration d’enfant sans vie. Cette loi étend la possibilité d’inscrire un “enfant sans vie” aux registres de l’état civil dès le 140e jour de conception, une inscription qui existe déjà, de manière obligatoire, pour les grossesses de plus de 180 jours.
Comme le pointe l’association Fem & L.A.W. dans une carte blanche publiée ce mardi dans L’Echo (1), ce texte, dont l’objectif – louable – est de soutenir le deuil des personnes confrontées à la perte d’une grossesse, est problématique quand on prend les droits des femmes en considération.
Carte blanche d’Henri Bartholomeeusen, président du Centre d’Action Laïque, 26/09/2018
Une confusion entre fœtus et enfant qui entre en conflit avec le droit à l’avortement
Le texte de loi prévoit donc la possibilité d’inscrire un “enfant sans vie” aux registres de l’état civil. Or, les actes de l’état civil sont des actes authentiques destinés à fournir une preuve certaine de l’état d’une personne en constatant les faits de nature à influencer celui-ci (naissance, mariage, décès…). Dressés par des fonctionnaires publics et inscrits dans des registres publics, les actes de l’état civil constituent la preuve exclusive de l’état des personnes dans la société.
Cette inscription, même facultative, induit donc qu’il s’agit bien d’une personne et non d’un fœtus. Or, sur le plan médical et scientifique, un fœtus de 20 semaines (140 jours) n’est pas encore une personne puisqu’il n’est pas viable à ce stage de la grossesse (2). Parler “d’enfant sans vie” entraîne donc une confusion sémantique entre un fœtus et un enfant.
Pour Fem & L.A.W., cette confusion n’est pas sans incidence sur le droit des femmes à disposer de leur corps et entre en conflit avec l’idée même d’avortement: “ceci renforcerait la difficulté que peut représenter une interruption de grossesse, vu qu’il s’agirait bien de perdre un ”enfant” reconnu comme tel par le droit, et les débats sur la prolongation du délai légal d’avortement en seraient évidemment limités, voire impossibles.”
Cette analyse se trouve d’ailleurs corroborée dans les faits lorsqu’on examine la situation dans d’autres pays européens. À chaque fois qu’un pays a adopté une législation pour donner une forme de reconnaissance au fœtus, cela a débouché sur une remise en cause du droit à l’avortement.
Une déclaration sans l’accord de la mère
Le projet de loi prévoit que la déclaration à l’état civil pourra être faite “à la demande de la mère ou à la demande du père ou de la coparente qui est marié(e) avec la mère, ou qui a fait une reconnaissance prénatale, ou, à la demande du père ou de la coparente non marié(e) avec la mère et qui n’a pas reconnu l’enfant conçu et avec l’autorisation de la mère, un acte de déclaration d’enfant sans vie.” (3) En d’autres termes, la déclaration “d’enfant sans vie” pourrait être faite sans l’accord de la femme qui a subi la perte de sa grossesse.
Pas de mesures concrètes pour répondre à l’objectif annoncé
Cette loi ne répond pas à l’objectif, louable, qu’elle dit poursuivre, à savoir faciliter le deuil des personnes qui perdent une grossesse.
Face à un tel drame, toujours subi et traumatisant, les démarches administratives ne sont pas forcément, et certainement pas pour la majorité des personnes concernées, de nature à apaiser leur souffrance. La loi “dit” la norme et ce projet de loi induit que faire le deuil d’une fausse-couche tardive ou d’une interruption médicale de grossesse (IMG) passerait par la reconnaissance administrative de la perte d’un “enfant”. Raisonnablement, cette nouvelle norme pourrait aggraver la situation. Assister les personnes confrontées à une brutale interruption de grossesse relève de l’aide à la santé, physique et psychologique. Or, sur ce plan, rien n’est prévu.
Nous plaidons pour que soient renforcés les protocoles liés au deuil des couples pour toutes les fausses couches tardives ou les avortements thérapeutiques dans les services hospitaliers, comme cela se fait déjà dans certains grands hôpitaux qui consignent, dans le dossier médical, des photos et empreintes des pieds et des mains, le bracelet d’identification, etc.
La prise en compte du deuil des couples est une question de santé, et pas uniquement une question d’état civil. Une proposition de loi de santé publique allant dans le sens d’une meilleure prise en compte de ce deuil devrait être envisagée. Tous les experts auditionnés en juin 2015 ont d’ailleurs plaidé pour un remboursement des consultations psychologiques par l’INAMI et du coût relatif à l’accompagnement par les services compétents lorsque survient ce type de drame.
Enfin, la possibilité d’inscrire le fœtus au service des sépultures de la commune où s’est déroulée l’inhumation ou la dispersion des cendres de celui-ci nous semble être une meilleure option pour les couples que la délivrance d’un acte administratif à l’état civil.
(1) Respecter les droits des femmes lorsqu’il s’agit de “vie anténatale”, L’Echo, 11/12/2018
(2) Selon l’Audit 2010-2013 du College of Physicians for ‘Mother & Newborn’ And Belgian Society of Neonatology, les chances de survie en Belgique sont de:
- 24 semaines d’aménorrhée (SA) (soit 154 jours): 58 % de mortalité, dont 40% de survie avec de graves séquelles
- 25 SA: 65 % de chances de survie
- 26 SA: 82 % de chances de survie
- 27 SA: + de 90% de chances de survie