
Lors de notre dernier Conseil d’administration, ce 26 octobre nous avons observé une minute de silence à la mémoire de Samuel Paty, et j’ai lu ce message:
« Nous avons perdu un frère d’arme. Mais parmi les enseignants aujourd’hui, combien d’autres, dans l’ombre, résistent, et prennent des risques similaires? Pourquoi? Pour transmettre aux jeunes les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité, qui sont l’héritage le plus précieux que nous puissions leur laisser. Je prends pour exemple de ce courage la carte blanche que Nadia Geerts vient de sortir dans le Vif (1) et salue son refus de l’autocensure, cette autocensure qui signe la vraie victoire du terrorisme: un homme est mort et nous nous sentons tous visés. Ce n’est qu’en refusant de nous taire, qu’en refusant la peur, que nous ferons reculer l’emprise du terrorisme islamique.
Les professeurs doivent faire face aujourd’hui à la montée d’un islamisme criminel, qui au-delà du fondamentalisme religieux qui lui sert de légitimation, a fait de la mort, du sacrifice humain, son signe de ralliement. Cette idéologie morbide, qu’on retrouve chez Daesch, a des points communs avec le nazisme, et le Viva la muerte! des franquistes espagnols. Elle flirte avec la fascination de la mort, la soumission aux ordres, la mise en scène du martyre, elle s’appuie sur les réseaux sociaux, cultive la haine de l’Autre, bénéficie de sources de financement occultes, et c’est tout un système criminel qui accompagne l’acte terroriste – même celui d’un individu supposé isolé. Il n’est que l’arbre qui cache la forêt.
Nous pouvons tous en être victimes, croyants ou non croyants. Aujourd’hui d’ailleurs, 90% des victimes de ce terrorisme islamique sont des musulmans.
Lutter contre l’emprise diffuse de ce système criminel est un travail de longue haleine, dont nous laïques, ne sommes qu’un des maillons. Mais chaque maillon est important. Nous allons donc mener, dès aujourd’hui, une série d’initiatives pour approfondir ces thématiques et les traduire en aides concrètes pour les enseignants. Inutile de préciser le rôle central que jouera le cours de philosophie et de citoyenneté dans cette réflexion. »
Aujourd’hui, l’assassinat de Samuel Paty et les attentats de Nice qui l’ont suivi se déroulent dans un contexte où on sent une fracture entre des citoyens qui pointent la religion, l’Islam, dont les terroristes se drapent, et certains musulmans qui, à cause de leur religion, se sentent discriminés et se vivent comme des citoyens de seconde classe. Ces musulmans n’approuvent pas l’assassinat de Samuel Paty, mais ce dernier aurait, en donnant un cours sur les caricatures de Mahomet, ‘ joué avec le feu’. Quelque part, et c’est affreux à dire, ‘il l’aurait bien cherché’.
Cette fracture est dangereuse. Devrions-nous ou dénoncer l’islam comme porteur d’une violence interne armant le bras des terroristes, ou sinon, être taxé d’islamo-gauchiste inconscient, voire criminel?
Et si la réalité était autre? Si cette vision manichéenne était l’illustration de l’état inquiétant d’une société malade de sa violence? Une société qui a fait de la peur et de la haine, son quotidien. Dans cette société-là, on ne fait pas confiance. On est dans un camp ou dans un autre. Pas dans les deux. Pas au milieu. Pas à côté.
Pour la laïcité, ce choix n’en est pas un. Et nous le refusons. La religion, l’orientation sexuelle, le genre, la pauvreté ou la richesse, le lieu de naissance, ne sont pas des marqueurs sociaux acceptables. Tous humains, sans distinction. Mais chacun est comptable de ses actes. Et le terrorisme, fut-il islamique, fut-il le fruit d’une idéologie religieuse dévoyée, est d’abord une histoire d’hommes et de femmes.
Véronique De Keyser,
Présidente du Centre d’Action Laïque
(1) https://www.levif.be/actualite/international/affaire-paty-je-n-en-peux-plus-de-vos-oui-mais-carte-blanche/article-opinion-1349013.html