Mardi 15 janvier 2019 – alors que le Parlement européen venait d’adopter une résolution concernant l’action extérieure de l’Union européenne (UE) en matière de défense de la liberté de pensée, une étrange conférence de presse était en préparation…
Tout a commencé en 2016 suite aux pressions de l’Église catholique poussant l’UE à élever sa voix contre la persécution des minorités chrétiennes dans le monde. La réponse de l’exécutif européen fut la création du poste d’Envoyé Spécial de l’UE pour la Promotion de la Liberté de Religion ou de Conviction en dehors de l’UE. C’est Jean-Claude Juncker lui-même qui nommera le premier Envoyé Spécial. L’heureux élu: Ján Figeľ, ancien Commissaire européen, homme politique slovaque très conservateur et chrétien convaincu. Une cérémonie spéciale sera organisée à cette occasion au Vatican en présence du pape François.
Le ton était donné.
Un manque de transparence et d’évaluation
Deux ans plus tard, force est de constater que le travail effectué par l’Envoyé Spécial manque de transparence et d’évaluation. Le cadre de son mandat n’ayant jamais été clairement défini, il lui a été laissé libre cours de limiter ses prises de paroles à la défense des minorités chrétiennes dans le monde. Ce sera suite aux efforts inlassables de la Fédération Humaniste Européenne et de ses partenaires en termes de sensibilisation à la réalité des laïques, humanistes, athées et libres penseurs persécutés dans le monde que l’Envoyé Spécial se décidera à mentionner leur cas également aux côtés des minorités religieuses.
C’est la même Fédération Humaniste Européenne qui détectera à l’automne 2018 que le Parti Populaire Européen envisage la rédaction d’un rapport du Parlement européen proposant de renforcer le mandat de l’Envoyé Spécial, et ce sans qu’aucune évaluation n’ait été effectuée. L’objectif à peine dissimulé était clair: apporter un appui politique et institutionnel fort à celui dont la préoccupation principale restait la situation des chrétiens dans le monde et d’affirmer la nature profondément chrétienne du continent européen.
Ce ne sera qu’après d’âpres négociations avec les non-confessionnels menés par la Fédération Humaniste Européenne et ses alliés au sein du Parlement européen que naîtra un texte relativement équilibré reconnaissant le défi posé par la persécution d’autres minorités religieuses, des athées et apostats et s’engageant à associer les organisations laïques au travail de l’UE en la matière.
L’utilité de discuter avec des laïques mise en doute
Cependant, au niveau politique et en particulier au sein du Parti populaire européen, les intentions initiales de ce rapport continuent de prospérer. En témoigne l’allocution particulièrement brutale d’un eurodéputé lors d’une réunion en novembre dernier exigeant que le mandat soit limité à la protection des minorités chrétiennes et mettant en doute l’utilité de discuter de ces questions avec des laïques – « ces personnes qui ne croient en rien ».
En outre – et nous en revenons à notre propos de départ – après l’adoption de son rapport beaucoup plus progressiste qu’il ne l’avait envisagé au départ – merci au lobbying efficace de la FHE – le rapporteur ne trouvera rien de mieux que d’organiser une conférence de presse conjointe avec l’Envoyé Spécial et un panel d’eurodéputés et d’organisations comptant parmis les plus fervents défenseurs de l’identité chrétienne de l’Europe. On y trouvera l’Alliance Defending Freedom, une organisation anti-choix financée aux États-Unis, spécialisée dans le lobbying anti-LGBT, anti-IVG et anti-EVRAS (1) sur fond de jargon simulant un attachement aux droits humain ainsi que la plateforme faussement citoyenne CitizenGo – une espèce de site web de pétition anti-choix – liée aux mouvements ultra-conservateurs post-franquistes espagnols.
Le rapporteur mentionnera même dans son discours le fait que « 75% de la violence et de l’oppression à caractère religieux sont perpétrées contre des chrétiens ». Sa déclaration sera renforcée par le tweet d’un visuel estampillé PPE.
Même si la FHE a gagné cette première bataille en imposant une vision progressiste dans le texte, la connivence entre les responsables du PPE, les organisations anti-choix et un Envoyé Spécial officiellement nommé par la Commission européenne n’augure rien de bon. Le CAL, en parfaite intelligence avec la FHE, restera plus que jamais vigilant afin de s’assurer que l’action de l’UE en matière de défense de la liberté de pensée, de conscience et de conviction dans le monde s’effectue au bénéfice de toutes et tous, qu’ils ou elles soient religieux ou non.
(1) EVRAS = Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle