Communiqués de presse

Annulation de la table ronde du 24/02/15 « Suis-je aussi Charlie? Et pourquoi? »

Annulation de la table ronde du 24/02/15 « Suis-je aussi Charlie? Et pourquoi? »

Le 24 février Picardie Laïque, l’Extension de l’ULB du Centre et le Centre d’Action Laïque devait organiser avec plusieurs autres partenaires locaux une soirée-débat « Suis-je aussi Charlie? Et pourquoi? » à Chapelle-Lez-Herlaimont. Nous avions invité plusieurs intervenants venant d’horizons différents dans un souci de tolérance et d’esprit critique chers à la laïcité: le philosophe Guy Haarscher, le caricaturiste Philippe Decressac, l’islamologue Radouane Attiya, le frère Dominicain Stéphane Braun, le journaliste Jean-Jacques Jespers, le secrétaire général de la Ligue des Droits de l’Homme Pierre-Arnaud Perrouty et le rédacteur en chef du magazine du CAL Espaces de Liberté Yves Kengen qui devait modérer le débat.

Au nom du principe de précaution, jusqu’où va-t-on aller dans les décisions sécuritaires intrinsèquement liberticides?

Le 17 février, la Police Fédérale a demandé aux organisateurs d’annuler l’évènement étant donné les risques encourus. Les attentats de Copenhague du 14 février et la vidéo haineuse postée sur Internet le 17 février par 2 djihadistes ont probablement poussé la Police Fédérale à prendre cette décision que nous respectons. Cependant, elle pose une question fondamentale: au nom du principe de précaution, jusqu’où va-t-on aller dans les décisions sécuritaires intrinsèquement liberticides? Il ne nous appartient pas de mesurer le niveau de menace qui pesait sur l’organisation de notre soirée-débat; c’est le travail de la Police que nous respectons et à laquelle nous faisons confiance. Mais, au-delà, nous appelons tous les démocrates à faire preuve de vigilance face aux réactions sécuritaires qui endiguent la liberté d’expression et la capacité de mobilisation face à la terreur. A chaque fois qu’une telle décision est prise, c’est un peu plus de gain pour le terrorisme!

Il n’est pas question dans une démocratie de laisser autant de champ au terrorisme!

Il n’est pas question dans une démocratie de laisser autant de champ au terrorisme! La soirée-débat devait poser la question « Suis-je aussi Charlie? Et pourquoi? ». Elle n’était donc ni provocatrice ni haineuse. Elle devait permettre de mettre en débat et en perspective l’affirmation « Je suis Charlie » qui a fleuri partout depuis plus d’un mois, et quelques fois dans des lieux improbables. Elle était d’ailleurs discordante par rapport à la quasi-unanimité médiatique. Nous voulions savoir s’il n’était pas de bon ton de prétendre qu’on n’est pas Charlie? Si le monde était divisé entre ceux qui « sont Charlie », les bons, et ceux qui ne le sont pas, les méchants? Car depuis la globalisation et l’imposition de la pensée unique, la société apparaît de plus en plus comme dichotomique: pour ou contre. Les médias ont étonnement passé sous silence ceux qui ne se sentaient pas concernés par cette affirmation.

Nous voulions débattre sur ce que signifie vraiment et contextuellement « Être Charlie ». Est-ce simplement affirmer que l’on est favorable et défenseur de la liberté d’expression, liberté fondamentale mère de toutes les autres libertés contre toutes les formes de musellement? Ne pas « être Charlie » signifie-t-il par contre que l’on est opposé à la liberté d’expression? La réalité est beaucoup plus complexe. Derrière « Charlie » il y a bien plus que la liberté d’expression. Il y a aussi l’universalisme humain, la tolérance, l’ouverture à l’autre, quel qu’il soit. Cependant, l’émotion passée, que reste-t-il de cette allégation?

Derrière ce slogan, nous voulions réfléchir sur la réaction de millions de personnes attachées à l’idéal démocratique et à la nécessité de défendre le droit de pouvoir s’exprimer librement qui ont réagi contre les attentats de Paris et puis ceux de Copenhague, fomentés par des terroristes se réclamant de l’Islam radical et qui, en définitive, sont des criminels agissant au nom d’une forme de fascisme non représentative de l’Islam ancrée sur le ressentiment et la détresse de communautés musulmanes face au post-colonialisme. Car la religion musulmane a droit à tous les égards, au même titre que toute autre religion; elle ne peut en aucun cas être la caution de ce type de forfaits. Ces attentats s’insèrent dans une vision du monde ethnoculturelle pernicieuse et réductrice qui définit les groupes sociaux selon leur origine et leur religion: les Juifs, les Arabes, les Catholiques, les Musulmans, etc. Cependant, un Juif français est avant tout un Français, un musulman belge est avant tout un Belge, etc. Cette vision ethnoculturelle rappelle la manière dont les Nazis ont voulu éradiquer les Juifs allemands en mettant en avant leur origine ethnique et leur religion avant le fait qu’ils étaient allemands depuis de nombreuses générations.

Nous voulions également insister sur le fait que derrière « Charlie », il y a bon nombres de personnes qui tentent de se débrouiller et d’exister dans une société en crise, frappée par le chômage de masse et une précarité croissante dont ils sont les premières victimes et qui limitent très fortement leurs chances d’insertion et d’ascension sociales. Et que beaucoup de Musulmans en font partie. Mais ils ne sont pas les seuls. Les politiques d’austérité et sécuritaires qui sont imposées à l’ensemble des citoyens européens ne peuvent que favoriser le repli identitaire, la montée des nationalismes et des extrémismes et le musellement de l’esprit critique et de la libre expression. Car tous les citoyens européens ont peur pour leur quotidien et leur avenir, au point que bon nombre d’entre eux sont prêts à se jeter dans les bras de quelques sirènes prétendant leur apporter stabilité et sérénité au détriment de boucs émissaires qui leur sont présentés comme la source de tous leurs maux.

Il y a danger! La démocratie est en danger! Alors, « être Charlie » c’est bien, mais encore?

Vincent Dufoing, directeur de Picardie Laïque

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