Espace de libertés | Juin 2020 (n° 490)

God bless les séries télé !


Culture

Source d’inspiration pour les scénaristes, les religions et croyances sont souvent évoquées dans les séries télévisées « made in America ». Elles nourrissent les personnages, mais pas vraiment la critique. Attention, les séries, c’est sacré !


En 2019, 532 nouvelles séries américaines ont été produites. Depuis plusieurs années, on parle du phénomène de Peak TV : jamais il n’y a eu autant de (très bonnes) séries produites en même temps. La dernière étude du Pew Research Center (2014) sur la croyance en Dieu montrait que pour 83 % des Américain·e·s, l’existence de Dieu allait de « plutôt certaine » à « absolument certaine ». Deux chiffres que l’on pourrait penser déconnectés, mais qui en disent beaucoup lorsqu’il s’agit d’analyser la présence du religieux dans les séries, et plus particulièrement celles provenant de l’Oncle Sam, leader incontesté des TV shows.

culture_series

Le religieux est extrêmement présent dans l’univers sériel télévisé, par exemple dans «  The Handmaid’s Tale  » qui brosse le portrait d’une Amérique basée sur certains préceptes bibliques.

La première série qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque la présence de la religion à la télé, c’est assez souvent 7th Heaven (« Septième ciel », qui perd sa connotation religieuse avec sa traduction française : Sept à la maison). Le révérend Eric et son épouse Annie éduquent leurs sept enfants, une progéniture qui a le don de se mettre dans des situations (sexe avant le mariage, toxicomanie, tentative de suicide, cannabis, etc.) qui imposent une intervention, le plus souvent du révérend, et un rappel à la foi. Cette série, diffusée entre 1996 et 2006, a remporté un grand succès populaire et a été soutenue comme rarement par le Parents Television Council, un groupe de pression d’inspiration chrétienne qui avait plutôt l’habitude d’appeler au boycott. Néanmoins, hors chaînes de télé religieuses, ce type de programme, que l’on peut assimiler à une certaine propagande religieuse, n’essaime pas vraiment. On peut citer la minisérie The Bible, diffusée en 2013 et au succès considérable (onze millions de téléspectateurs en moyenne sur la chaîne History). Sa suite, A.D. The Bible Continues, sera un échec et la NBC annulera la série.

Du gentil bigot au parfait catho

Si les séries de ce type ne sont plus guère d’actualité, le religieux est extrêmement présent dans l’univers sériel télévisé. Parmi les plus grandes séries américaines, il est assez commun de croiser certains personnages profondément religieux, du père Mulcahy dans M*A*S*H à Ned Flanders des Simpson en passant par le président Bartlet dans À la Maison-Blanche. Ce dernier est un exemple particulièrement intéressant : catholique et démocrate, Jed Bartlet est souvent opposé à des évangélistes républicains. Les questions sur l’avortement traversent cette série, pendant de longues saisons et même dès le premier épisode. Toutefois, Dieu est attaqué comme rarement dans une série diffusée sur un network, dans une scène mythique du dernier épisode de la saison 2 : le président (interprété par Martin Sheen), seul dans une cathédrale, se lance dans un monologue où il traite Dieu de son of a bitch. Comme Bill Clinton, le président Bartlet a menti aux Américains, à propos de sa santé. Il paie ainsi ses « péchés ». Mais il se dit prêt à se sacrifier. Et il sera, tout au long de la série, un personnage christique, un président idéal. De quoi, d’une certaine manière, encenser le catholicisme ? Pas vraiment, selon Sarah Sepulchre, professeure à l’UCL et dont la thèse portait sur les séries télé : « À la Maison-Blanche nous montre un président parfait, qui ne prend pas de mauvaises décisions. Il est catholique, patriote. Cette perfection n’est pas nuancée. » Et ce manque de nuance ne sonne pas juste.

Le croyant, un personnage multifacette

Cette finesse dans le traitement du religieux, cette subtilité tellement chérie des amateurs de séries, on la trouvera cependant dans de nombreuses œuvres télévisuelles. Dans quelques-unes des plus importantes de ces quinze dernières années, la religion – parfois inventée – ou le sacré sont partout, de Game of Thrones à Lost, des cultissimes The Leftovers ou Six Feet Under aux plus confidentielles Rectify ou Battlestar Galactica. Cette dernière mérite le détour : dans cette série de science-fiction, les êtres humains sont polythéistes (« les douze dieux de Kobol ») alors que les robots croient en un Dieu unique. Cette dualité fait le sel intellectuel d’une série où l’un des personnages principaux, athée, deviendra, à la fin, une sorte de prophète… Rectify interroge le bien et le mal dans tous ses personnages, après la libération d’un condamné à mort qui a passé vingt ans dans le couloir de la mort. Rédemption, amour, culpabilité, sacrifice, appel à l’aide au divin, les thématiques puissantes de Rectify résonnent. Si Lost fait des références explicites à la culture judéo-chrétienne, Game of Thrones mettra en avant les extrémistes, tout comme The Leftovers ou The Handmaid’s Tale. Moins politiques, les cent épisodes de Jane the Virgin brossent le portrait d’une Amérique où la religion est histoire de transmission. Plus polémique, en 2005, le thriller Sleeper Cell s’ouvre par une prière d’un musulman, qui s’avère être un agent du FBI qui empêchera un attentat terroriste sur le sol américain. Plus récemment, dans Jack Ryan, un agent afro-américain de la CIA affiche sa croyance musulmane de façon « normale ». Que de chemin parcouru après les centaines d’islamistes radicaux que la télé US a enfantés après le 11 Septembre  !

Sacrées séries !

Nous pourrions multiplier les exemples. Le plus souvent, la religion permet de densifier le propos d’une série. Et plus rarement – on peut penser à The Young Pope – de critiquer les religions elles-mêmes, des institutions régulièrement présentées comme opaques dans les séries. Le médium télé, avec son rythme au long cours, va plutôt s’atteler à réaliser des études de cas, avec des personnages liés au religieux.

Sarah Sepulchre regrette néanmoins que le religieux soit rarement autre chose qu’un ressort scénaristique : « La notion de sacré n’est pas bien traitée dans les séries, alors même que le public, qui ne trouve plus nécessairement le sacré ailleurs, vient y chercher les réponses aux grandes questions sur la vie et sur la mort. Comme les séries, les religions font appel au collectif. Et l’on en vient à se dire que le sacré, ce sont les téléspectateurs et téléspectatrices qui le créent : on voit ainsi l’apparition de véritables cultes pour des séries télé. » Et si, finalement, elles devenaient les nouvelles religions du XXIe siècle ?