Espace de libertés | Juin 2020 (n° 490)

Série Décolonisation du regard – Histoire de rattrapage


Libres ensemble

En Fédération Wallonie-Bruxelles, non seulement l’histoire coloniale ne fait toujours pas partie du programme obligatoire, mais en plus elle demeure incomplète et partisane. Pourtant, les secteurs associatif et académique sont catégoriques : tous les élèves doivent savoir ce qui s’est réellement passé au Congo belge.


Un rapport de l’APED (Appel pour une école démocratique) réalisé sur 3 000 élèves de tous types d’enseignement en Belgique démontrait, en 2008, qu’au sortir des secondaires, un élève sur quatre ne savait pas que la Belgique avait colonisé le Congo. Le constat effarant établi par l’APED l’est encore plus dans l’enseignement professionnel où c’est un.e élève sur deux qui n’avait jamais entendu parler du Congo belge. Une étude sur le même sujet, mais de moindre envergure, a été menée en 2017 auprès d’élèves en première année de bachelier à l’université, et les résultats sont similaires bien qu’un tiers des étudiant.e.s confessaient vouloir en apprendre plus sur l’histoire coloniale, qu’ils et elles considèrent comme étant en partie la leur. Et ce désir de se réapproprier l’histoire n’est pas un sentiment uniquement partagé par les Afro-descendants.

En février 2019, les experts de l’ONU invitaient la Belgique à « briser le mur du silence » et à présenter ses excuses pour son passé colonial. Le rapport établi liait de près la figure de Léopold II au « racisme endémique » de la société belge. Plusieurs faits de ce type dont les médias se font écho, comme les chants racistes scandés par des jeunes au Pukkelpop (« Coupons-leur la main, le Congo est à nous »), les reportages inquiétants réalisés par la VRT sur Schild & Vrienden, les récriminations à l’égard de Cécile Djunga lorsqu’elle présentait la météo, les polémiques annuelles autour des personnages du Père Fouettard et du Sauvage de Ath, démontrent bien les conséquences de l’ignorance.

Brazzaville ( Afrique Equatoriale Francaise - A.E.F. ) - Congo francais : -passage de M. L'administrateur E. - carte postale debut 20eme siecle - France , Afrique , France-Afrique , francafrique , relations fanco-africaines , africains , noirs , race noire , colonie , colonisation - ©Gusman/Leemage
En matière d’enseignement, le référentiel de 1999 a été actualisé en 2014 d’abord, puis en 2017 par le Pacte pour un enseignement d’excellence. © Leemage/AFP

 En matière d’enseignement, le référentiel de 1999 a été actualisé en 2014 d’abord, puis en 2017 par le Pacte pour un enseignement d’excellence, afin de mieux correspondre aux attentes sociétales actuelles. En septembre dernier, dans sa déclaration de politique communautaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est engagée à, « après concertation avec les acteurs, mener à son terme, dans l’ensemble de l’enseignement secondaire, la réforme de l’enseignement de l’histoire coloniale belge en Afrique, plus particulièrement au Congo, au Rwanda et au Burundi, en adaptant le référentiel global ».

Une histoire arrangée

Enseigner ce pan de l’histoire aux élèves, oui, mais comment procéder alors que cette histoire même fait débat ? Elle oppose jusqu’aux historien.ne.s qui ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les faits. Un consensus, toutefois : la colonisation est un système de prédation et de domination systémiques et la Belgique s’est rendue responsable d’une telle organisation au Congo, au Burundi et au Rwanda. Mais trop rarement, voire jamais, les cours d’histoire, quand ils abordent cette période, font état de la vigueur avec laquelle les colonisés se sont révoltés durant les longues années de domination belge. Le processus colonial est encore, souvent, associé à l’idée d’une tranquille acceptation des colonisés, alors que les luttes, les grèves et les manifestations ont été nombreuses. Et réprimées dans le sang par les autorités belges qui avaient à cœur de mettre au travail cette main-d’œuvre gratuite. Cependant, comme s’en défendait Charles Buls, bourgmestre de Bruxelles et grand défenseur de Léopold II : « L’État ne peut être rendu responsable de crimes qui se commettent à l’abri d’impénétrables forêts. »1 Cette vision digne de la politique de l’autruche semble avoir traversé les siècles pour imprégner les discours de nos politiques, à l’image de Marie-Christine Schyns, en 2017, alors ministre de l’Enseignement, qui ne voyait aucune sorte de complaisance dans la façon dont les manuels belges d’histoire dépeignent la colonisation. Catherine Moureaux, députée bruxelloise PS avait alors tenu à interpeller la ministre : « Il ressort du programme tel que rédigé actuellement une impression de paternalisme désagréable. […] À aucun moment, le mot “crime” n’est cité explicitement. On parle d’“exactions”. Pour moi, les nombreuses mains coupées durant l’époque coloniale ne sont pas simplement des exactions. Ce mot a le mérite d’exister, mais il donne un peu l’impression qu’il s’agit d’un effet secondaire. L’enseignement de l’histoire du colonialisme belge et de ses crimes n’est pas encore acquis aujourd’hui. Le sujet et la question sont encore malheureusement problématiques. »

Belgique : portrait de Leopold II (1835-1909) roi des Belges, fondateur de l'Etat du Congo belge. Chromolithographie de 1936. ©Lee/Leemage

Les cours dispensés dans le secondaire proposent encore aujourd’hui une relecture de l’histoire sous l’angle du «sauveur blanc » qui a tout de même apporté la civilisation.

Une histoire partisane

Autre élément essentiel : faire la balance des apports et des méfaits de la colonisation relève d’une forme de malhonnêteté. Les cours dispensés dans le secondaire proposent encore aujourd’hui une relecture de l’histoire sous l’angle du « sauveur blanc » qui a tout de même apporté la civilisation (hôpitaux, chemins de fer, écoles) et lutté contre l’esclavagisme arabe pour libérer le peuple congolais. Pour preuve, cet extrait du référentiel : « À partir de différentes analyses d’historiens, les élèves organisent une synthèse faisant le bilan coût-profit de la colonisation pour les colonisateurs et pour les colonisés. » En quoi asservir un peuple durant presque cent ans participe-t-il de sa libération ? Bien que théoriquement aboli sous le Congo belge, le travail forcé a perduré jusqu’à l’indépendance pour les Congolais.es, enfants compris. Il faut rappeler aussi que ces fameuses infrastructures ont été construites grâce au travail forcé des Burundais.e.s et des Rwandais.e.s dont des milliers périrent lors de la construction du chemin de fer reliant Matadi au Stanley Pool.

Certains Belges sont allés au Congo sans aucune mauvaise intention, certes. Néanmoins, leurs actes se sont inscrits dans un processus plus large de domination. Le principe même de la colonisation était d’établir la supériorité des Blanc.he.s sur les Noir.e.s, faisant croire à ces derniers qu’ils avaient besoin de l’aide des Européens pour se développer. Du racisme et du paternalisme purs, subtilement camouflés dans des valeurs chrétiennes.

Autant de raisons pour que l’intention affichée dans la Déclaration de politique communautaire du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles soit concrétisée au plus vite. Un nouveau référentiel global permettant de traiter sérieusement plutôt que distraitement l’histoire coloniale belge est une nécessité. Il s’agit de contribuer à mettre un terme à une souffrance en tirant, sans hypocrisie, les leçons de l’histoire. Et sans doute aussi éveiller les élèves quant au fait que les logiques de domination à la base du colonialisme demeurent, bien que sous d’autres formes, des explications utiles de rapports de force qui traversent notre monde aujourd’hui.

 


1 Charles Buls, Croquis congolais, Georges Balat, Bruxelles, 1899, p. 6-7.