La Ville de Bruxelles veut faire figure de pionnière en matière de participation citoyenne. Une charte, adoptée en décembre dernier, définit des actions concrètes pour solliciter l’avis de ses citoyens et les inclure dans la construction de projets… Et même leur permettre de contrôler des budgets quelquefois conséquents (alloués à leur quartier).
C’est dit, et souvent répété : la démocratie est en crise et la méfiance du peuple envers les élites est grandissante. « À Bruxelles, 20 % des électeurs ne se déplacent même plus pour voter », lâche Arnaud Pinxteren, en guise de diagnostic. Autre illustration de la rupture consommée entre le citoyen et le politique, selon l’échevin bruxellois de la Participation citoyenne : « Le piétonnier, un projet intéressant à la base, a fédéré les habitants contre lui, car le processus qui l’accompagnait n’était pas assez inclusif. »
Contre ce mal, la Ville de Bruxelles a opté pour un remède, souvent présenté comme miraculeux : la participation citoyenne. En décembre dernier, la majorité (PS-Écolo-Défi) a adopté la première Charte de participation citoyenne, résultant elle-même de rencontres entre élus et habitants. Unique en son genre, le texte liste onze actions concrètes, articulées autour de trois piliers : coconstruire la Ville de Bruxelles, impliquer les Bruxellois et favoriser l’innovation sociale et citoyenne.
Pour « coconstruire la ville », Bruxelles s’est dotée d’un outil à la hauteur de ses ambitions : les conseils de quartier. D’ici la fin de la législature, en 2024, huit conseils au total auront été constitués sur le territoire communal. Chacun sera composé de dix-sept membres, parmi lesquels une majorité de citoyens tirés au sort, et des représentants des secteurs associatif et commerçant.
La démarche n’est pas que symbolique. Ces conseils jouiront d’un réel pouvoir de décision, puisqu’ils seront appelés à gérer le « budget participatif » alloué à leur quartier (jusqu’à un million d’euros). « Ce n’est donc pas qu’un budget coup de pouce, qui servirait à faire de la “verdurisation” des rues ou des potagers collectifs », précise l’échevin Écolo. « Les conseils pourront aussi s’impliquer sur des thématiques plus ‘‘essentielles’’, comme la sécurité routière. » Mi-mars, le tout premier conseil de quartier a vu le jour à Neder-Over-Hembeek (NOH, de son diminutif), territoire à l’extrême nord de la commune bruxelloise. Deux autres devraient suivre d’ici la fin de l’année.
Le tracé du tram
En attendant, quelques projets témoignent déjà de la volonté de la Ville d’inoculer des doses de participation citoyenne dans son fonctionnement. L’un d’eux a eu lieu dans le quartier de Neder-Over-Hembeek (encore lui), qui fait un peu figure de laboratoire bruxellois en la matière. Le choix n’est pas anodin : une bulle de contestation populaire y était apparue dès l’annonce d’un futur tram, reliant NOH (le « village », comme aiment encore à l’appeler ses habitants) au centre de la capitale. Pour calmer les esprits, la Ville s’est prêtée à un exercice de réflexion collective sur le futur tracé de la ligne, incluant les citoyens. « Un processus unique et inédit à Bruxelles pour un projet de cette envergure », insiste Arnaud Pinxteren.
Mohamed, informaticien chez Audi et parent engagé de longue date dans la vie associative de son quartier, a été tiré au sort parmi la cinquantaine d’habitants portés volontaires. Avec cinq autres heureux élus, il a, pendant plus de six mois, participé aux « comités de pilotage » réunissant la STIB, des représentants politiques de la Ville et de la Région et Bruxelles Mobilité. « On était parfois une trentaine de personnes. En tant que citoyens, on a pu exprimer nos inquiétudes, poser toutes nos questions. Mais ça nous a surtout permis d’avoir une vision plus large de la problématique », témoigne le Bruxellois. « On arrivait souvent en disant : “Vous n’avez qu’à faire ça”, et les ingénieurs nous confrontaient aux normes et contraintes techniques dont il fallait tenir compte. »
Mohamed se déclare satisfait : « Tout a été clair, transparent et démocratique. Même si le résultat final ne plaît pas à tout le monde… » Les tensions n’ont en effet pas disparu : certains riverains, directement impactés par le tracé du futur tram, sont en rogne. D’autres, qui avaient espéré que la Ville abandonne carrément son projet de mobilité, crient à l’imposture. « C’est l’un des problèmes de la participation », poursuit le citoyen. « Chacun a des intérêts divergents et certains feront tout pour avoir gain de cause. Il faut se demander quelle est l’intention du citoyen derrière son engagement : une curiosité, une conviction ou son intérêt propre ? Si c’est ça, vous aurez beau les informer, il n’y a rien à faire : ces gens-là ne changeront pas d’avis. »
« Il faudra bien choisir »
C’est pour prévenir ce genre de dérive, mais aussi pour éviter que ses dispositifs n’attirent que des citoyens aguerris – presque « professionnels » de la participation – que Bruxelles a misé sur le tirage au sort pour la constitution de ses conseils de quartier (son outil central). « Ce sont souvent les mêmes types de personnes qui participent : plutôt âgées et masculines. Notre enjeu majeur sera de créer de la mixité. On prévoit notamment la possibilité d’un défraiement lors des conseils, pour permettre aux mamans de recourir au baby-sitting. »
La charte de la Ville ne repose pas uniquement sur le tirage au sort de citoyens curieux ; elle veut aussi faire évoluer le fonctionnement interne de son administration. Un formulaire a ainsi été créé pour les services de la commune, qui doit leur donner la possibilité d’identifier rapidement les projets pouvant faire l’objet d’un processus participatif (compte tenu du budget, du planning, de la marge de négociation…) « Si le service juge qu’il y a une opportunité à ce que son projet soit mis en débat avec les citoyens, ce sera fait. Évidemment, ça ne pourra pas être fait systématiquement : il faudra bien choisir », nuance Arnaud Pinxteren.
C’est que les projets « larges et techniques », relevant par exemple de la planification urbaine, se prêtent moins volontiers à la participation citoyenne, selon l’échevin. A contrario, « quand l’objet du débat est clairement identifié et ancré dans les réalités territoriales des quartiers, la participation est efficace ».
Un exemple : l’aménagement de la future salle du conseil communal au sein de Brucity, le nouveau centre administratif de la commune dès 2021. Un projet « concret et précis », pour lequel la Ville a sollicité l’avis de citoyens et de professionnels (huissiers, traducteurs, journalistes, organisations de jeunesse), en vue d’optimaliser la disposition des lieux en fonction de leurs besoins.
Les jeunes souvent oubliés
L’ASBL Jeune et Citoyen a fait partie des acteurs invités à rejoindre le débat. Fatima Amkouy, sa secrétaire générale, juge l’expérience positive : « La façon dont on a sollicité nos avis, dont ceux-ci ont été étudiés et pris en compte : tout était pertinent et très professionnel. » La mission de cette organisation de jeunesse qui promeut la participation des jeunes et accompagne notamment des conseils des jeunes au sein de communes belges est de suggérer des façons de rendre la salle du conseil communal accessible aux jeunes, pour qu’ils puissent y faire entendre leur voix.
Sur les plans de l’architecte, qu’est-ce que cela donne ? Le futur conseil bruxellois sera notamment doté d’un espace de projection, « les jeunes étant beaucoup plus visuels et kinesthésiques ». Il y aura également une mezzanine et des espaces de travail amovibles, « grâce auxquels les jeunes pourront échanger avec les élus lors de vrais groupes de travail : nous voulions éviter que les échevins soient regroupés dans leur hémicycle, “coupés” des membres du conseil des jeunes », poursuit Fatima Amkouy.
Un bémol toutefois : aucun jeune n’a directement pris part aux discussions. « Le processus a sans doute souffert d’un manque de temps… », avance la responsable de l’ASBL. « Mais la question mérite en effet d’être posée. Dans les espaces institutionnels, on oublie bien souvent de mettre les jeunes autour de la table… »
Ni remède miracle, encore moins instrument parfaitement abouti : la participation citoyenne ne s’improvise pas et nécessite, idéalement, un accompagnement professionnel (c’est le cas à la Ville de Bruxelles). « Le pire ennemi, c’est la participation mal faite. Car on risque alors d’abîmer encore davantage la confiance du citoyen. Je préfère des projets moins nombreux mais pertinents, qui mènent réellement à un partenariat vertueux avec les citoyens », conclut l’échevin bruxellois.