Espace de libertés | Juin 2020 (n° 490)

Budget participatif, un simple gadget ?


Dossier

Bruxelles, Namur, Leuven… Toutes les communes se lancent dans l’aventure des budgets participatifs. Un moyen de réunir citoyens et élus sur le devenir de leur territoire. À condition que les règles du jeu soient claires pour tout le monde !


C’est à la fin des années 1980 que les premières initiatives de budget participatif ont vu le jour. En Belgique, le concept est importé au début des années 2000 avec des fortunes diverses. C’est que les règles du jeu varient sur le terrain. Dans les faits, même si les citoyens sont appelés à participer, les élus gardent souvent le dernier mot. Le concept est avant tout une volonté de construire une autre manière et d’élaborer des choix budgétaires entre pouvoirs publics et habitants.

Des conseils de quartier

C’est selon cette logique que Bruxelles-Ville se lance dans l’expérience avec la création de huit conseils de quartier. « À Bruxelles, il y a eu par le passé plusieurs vagues de budgets participatifs qui ont eu pour objectif de donner des moyens à des projets citoyens sous forme d’appel à candidatures. Souvent, ces budgets étaient plutôt des budgets “coups de pouce”, donnant des moyens aux citoyens pour réaliser l’aménagement de leur quartier », explique l’échevin de la Participation citoyenne, Arnaud Pinxteren (Écolo).

« Pour sortir de ce côté gadget, il fallait agir pour que ce budget participatif ne soit plus une fin en soi, mais un moyen de répondre à un de nos axes de travail qui est la codécision. On veut faire en sorte que les citoyens participent à la décision d’orientations prises par la Ville. Cela se traduit par un montant important, notamment », poursuit l’élu. Avec un budget d’un million d’euros mis sur la table. « C’est un moyen de donner de la crédibilité à ce type de projets. La volonté est de se rapprocher de ce que Paris fait, en consacrant 10 % de leur budget extraordinaire en débat avec des citoyens. Ici, à Bruxelles, on est à 1 %. »

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Outre les moyens importants mis en débat, le processus d’attribution de ces moyens doit être le plus ouvert et le plus participatif, raison pour laquelle Bruxelles a décidé qu’il soit piloté par ces conseils de quartier.

Le premier conseil de quartier verra le jour à Neder-Over-Heembeek. Ce conseil sera constitué de onze citoyens tirés au sort et de six représentants de différents secteurs associatifs, culturels ou économiques. Avec la volonté de toucher des personnes qui ne se manifestent généralement pas dans les réunions citoyennes habituelles et d’assurer la représentativité du conseil de quartier. Il se voit confier la gestion d’un budget participatif. Le but est que ces moyens permettent aux citoyens de codécider des investissements publics dans leur quartier. Il s’agira notamment d’organiser une consultation publique pour analyser les besoins du quartier, définir les priorités, lancer un appel à projets et analyser les dossiers rentrés. Avec un budget d’un million d’euros, on veut aussi viser grand, en votant par exemple pour le réaménagement de l’espace public.

Le rythme de travail sera soutenu, une dizaine de réunions par an. « La volonté aussi, une fois la décision prise par le conseil de quartier, est que la mise en œuvre du projet citoyen soit rapide. Outre le montant et le processus participatif, la concrétisation du projet fera que cette démarche sera crédible ou non pour les citoyens. Il ne s’agit pas d’attendre trois, quatre ans. Toute mon intention est de créer une conscience et une adhésion des autorités comme de l’administration autour de ce budget participatif. On sent que c’est quelque chose qui n’est pas toujours naturel… »

Répondre à la demande

Namur va, de son côté, dépenser 1,5 million d’euros sur cinq ans (soit 300 000 euros par an) pour financer des projets citoyens autour de la transition écologique et de la cohésion sociale d’un quartier. Il y aura un appel à projets ouvert aux Namurois âgés de 16 ans et plus et aux associations, puis une sélection par l’administration communale pour voir quels sont les dossiers citoyens qui tiennent la route. Ensuite, les projets retenus, mis au vote, notamment sur le site Internet de la Ville. Ce seront les Namurois qui sélectionneront les projets. « Le succès des expériences menées dans certaines villes n’a pas toujours été au rendez-vous : des budgets sont proposés, mais peu de projets se réalisent. Pour que cela fonctionne, tout le processus doit être précis, dès le départ, avec un réel engagement de l’administration qui doit analyser la faisabilité des projets citoyens », confie l’échevine Patricia Grandchamps (Écolo). Raison pour laquelle la ville a réalisé un benchmarketing des expériences menées tant en Belgique qu’à l’étranger. « La Ville veut répondre à la demande de plus en plus forte de citoyens de participer d’une manière ou d’une autre à la prise de décisions et à la vie de leur commune. Le budget participatif est un des moyens, raison pour laquelle cela ne peut pas être un gadget, raison aussi pour laquelle nous proposons un budget important. En Wallonie, il n’y a pas tant de communes qui mettent en discussion de tels montants. »

Créer des synergies

Selon un modèle identique à celui de Namur, Leuven a lancé une vaste consultation citoyenne avec plus de 3 000 habitants et un partage de plus de 2 300 idées, allant de pistes cyclables plus sûres à des équipements de fitness en plein air. Après cette récolte, la Ville s’est engagée à répondre à toutes les idées et a commencé à intégrer les idées des citoyens à son plan stratégique. « Il ne s’agissait pas uniquement de recevoir des propositions citoyennes, mais aussi de répondre à celles-ci, de dire au fond ce qui était possible ou pas, si c’était finançable ou pas, ou si cela entrait ou non dans la vision de développement de la ville. On a donc fait l’exercice de répondre aux citoyens, ce qui participe là aussi à créer de belles synergies entre élus et citoyens », explique Lalynn Wadera, échevine de la Diversité (SP.A). Pour l’élue, ce budget participatif s’inscrit dans une politique participative plus large à l’échelle de la ville flamande. « Nous ne voulons pas décider de tout pour la population, nous voulons décider les choses ensemble. À côté des citoyens, il y a beaucoup de personnes qui ont une expertise dans de nombreuses matières, et ces connaissances doivent être rassemblées et valorisées. De cette manière, nous créons une ville plus chaleureuse, plus inclusive, en favorisant aussi un sentiment d’appartenance et de fierté d’être louvaniste avec des habitants qui deviennent en quelque sorte des ambassadeurs de la cité. »

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Un minimum mobilisateur

Même si l’intérêt de ces budgets participatifs réside dans le processus de réflexion et de définition de priorités mené par les citoyens – et dans certains cas avec les pouvoirs publics – pour affecter les ressources budgétaires disponibles, l’association Periferia, dont les origines se situent au Brésil, tout comme les premiers budgets participatifs, constate qu’en Belgique, ces budgets ne concernent pas des montants réellement significatifs. « Plus le montant est faible, plus on va toucher des enjeux peu significatifs », explique Fanny Thirifays, membre de l’équipe. Periferia estime qu’il y a un montant minimal de 10 euros par habitant, en dessous duquel le budget participatif n’aura plus de portée démocratique. « Il faut au moins cela pour mobiliser les citoyens à long terme et leur permettre de rentrer dans une réflexion sur leur commune, dans une appropriation de la chose publique. Dès lors, la dynamique va s’essouffler très vite. »

Selon l’association, c’est sans doute dans un travail politique qu’il faut davantage investir – tant avec les élus et les services publics qu’avec les citoyens –, car un budget participatif ne sera possible que si tous sont persuadés de sa valeur ajoutée. Pour les citoyens, ajoute Periferia, ces pratiques permettent d’exprimer une opinion dans un espace où il y a possibilité de débat, d’être pris en compte et de prendre une place réelle dans les décisions et la vie démocratique. Pour les élus, le budget participatif est une occasion de renforcer leurs choix politiques grâce à une meilleure compréhension des besoins et un dialogue entre des intérêts divers.