Espace de libertés | Novembre 2021 (n° 503)

Libertés chéries et durement gagnées


Culture

Même s’il a été pensé et réalisé avant la pandémie, et qu’il sort seulement maintenant, le film « Libres… ? » résonne forcément un peu plus fort aujourd’hui. En ce moment où la notion d’espace de… libertés n’a jamais été aussi essentielle, discutée et controversée.


La liberté et le cinéma entretiennent une relation suivie depuis bien longtemps. D’Alexandre le Bienheureux, qui prend, un beau jour, la liberté de ne plus sortir de son lit et de se nourrir de saucisson pendu au plafond, au magnifique Birdy, enfermé dans son mutisme. Mais rarement un film, un documentaire ici, en l’occurrence, aura tenté d’illustrer ce vocable de « liberté » par de multiples exemples, traversant tous les milieux et tous les projets de vie. « C’était effectivement l’idée fondatrice du film ! » confirme Didier Guesquière, co-réalisateur du long-métrage en tandem avec Céline Charlier. « Nous voulions montrer que la liberté n’est pas question de contexte, mais quelque chose que l’on trouve au fond de soi, quels que soient l’endroit ou son mode de vie. »

Et c’est pour cette raison qu’au milieu des autres témoignages, les deux fils rouges du documentaire sont, au premier abord, à l’exact opposé l’un de l’autre. À ma droite : Cécile Meis, une ruraliste totale, pour qui liberté rime avec isolement dans la montagne, sans voisins et avec des toilettes sèches. À ma gauche : Jean-Claude Doppée, qui mène plusieurs vies en parallèle. Il est donc vendeur de disques dans une grande surface culturelle et emblème à rouflaquettes du rayon musical, barman dans le film Dikkenek, « DJ Saucisse » quand il tombe son gilet sans manches au service des clients pour le perfecto qui allume les dancefloors au son d’un rock bien gras, ou encore compilateur chic et choc pour le disque sur lequel il avait regroupé ses pépites et coups de cœur rock’n’rolliens sous le nom avisé de Dop Massacre.

Outre ces deux lascars principaux, la bonne idée derrière tout cela vient du fait que les autres témoignages n’émanent pas de pseudo-spécialistes qui nous auraient assommés de définitions aussi ardues qu’indigestes. La parole est donnée à des personnalités comme la juge Anne Gruwez, la chanteuse et actrice Karin Clercq, le défunt animateur et journaliste de Classic 21 Éric Laforge, le comédien Sam Touzani, l’écrivain Douglas Kennedy ou encore l’humoriste Fanny Ruwet, qui se- sont tous battus à des degrés divers et dans des circonstances variées pour gagner leurs libertés respectives.

Jean-Claude Doppée, vendeur de disques, constitue l’un des fils rouges du film, avec sa propre vision de la liberté. © Cabot & Co

Double intérêt de la démarche : outre le panel d’interlocuteurs très large et anti-dissertation qui se voudrait savante, surtout, aucun des entretiens ne sombre dans la bouillabaisse promotionnelle. « Les gens que nous avons rencontrés étaient même positivement étonnés par l’angle de notre entretien. Douglas Kennedy, par exemple, s’est félicité de ne pas devoir parler de son dernier livre en date, mais de quelque chose de plus large. Au sujet duquel, visiblement, on ne l’avait jamais interrogé. Alors que la liberté, dans tous les sens du terme, constitue la pierre angulaire de tous ses romans », pointe Didier Guesquière, qui cosigne donc un film choral drôle, attachant et pertinent.

Une liberté en suspension ?

Bilan de toutes ces conversations : « La liberté n’est pas simple à obtenir », confirme Céline Charlier. « Jamais ! Pour personne ! On s’en rend bien entendu encore plus compte dans la période actuelle, au regard des lois et décisions que l’on peut parfois qualifier de “dangereuses pour la survie des libertés”. Pour autant, nous avons eu l’idée du film bien avant la Covid. Ce qui induit deux conséquences : on ne peut nous taxer d’opportunisme, et surtout, quoi qu’il en soit et dans tous les cas, nous avons observé que la liberté reste fragile et s’use si l’on ne s’en sert pas. »

Un concept à géométrie variable

Ce qui nous amène au titre du film et à sa syntaxe bien particulière. Car les points de suspension et le point d’interrogation final ne sont pas anodins. « Les points de suspension, du moins dans notre esprit, montrent que la liberté est un concept à géométrie variable selon les gens, les circonstances et les étapes de la vie », continue Céline Charlier. Car le souci de la liberté n’est pas neuf, et ce film montre qu’il a toujours été d’actualité, même dans le « monde d’avant ». « Nous parlons d’une chose fondamentale, et carrément inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, mais elle demeure une notion mutante, dont la signification évolue au fil du temps et des gens qui tentent de s’en saisir. Ce qui reste bien notre propos global. Et puis, surtout, ce n’est pas parce qu’une certaine liberté nous serait acquise qu’il ne faut plus y travailler pour la conserver », précise-t-elle encore. Quant au point d’interrogation, Didier Guesquière se lance dans une tentative de réponse : « L’interrogation indique qu’il faut se poser les bonnes questions quant à sa propre liberté. C’est essentiel de remettre en question les choses. Pour réaliser qu’elle est précieuse et pas toujours simple à obtenir. Parce que, bien entendu, tout le monde n’est pas égal face à l’acquisition de cette fameuse liberté. »

Un sacrifice aussi

De leur côté, les auteurs du film ont, eux aussi, payé le prix pour jouir de leur propre liberté. Et ce combat ne serait évidemment pas totalement étranger à l’idée de ce métrage. Didier Gesquière : « Nous avons effectivement toujours dû nous battre pour conserver notre liberté lors de nos différents projets artistiques incluant le cinéma ou le théâtre. Et souvent au prix de certains sacrifices financiers quand nous avons refusé des demandes risquant de nous aliéner, ou avec lesquelles nous n’étions pas en accord. Mais cela n’a pas représenté une trop grande souffrance pour moi. Parce que j’ai toujours très mal vécu le manque de liberté. Pour certains, l’enfer, c’est les autres. Pour moi, ce sont les contrôles et les contraintes en tout genre. De toute façon, quelle qu’en soit la forme, la liberté a toujours un prix, que cela touche aux finances ou à la marge de manœuvre. Alors oui, je suis parfois traversé d’un regret dans l’instant. Mais jamais sur le long terme. » Parce qu’à certains moments le chemin vers la liberté est ardu. Mais il en vaut toujours la peine.