L’Allemagne va interdire les « thérapies de conversion » pour les mineurs, des prétendus traitements censés guérir de l’homosexualité. Bastian Melcher, l’une des victimes, explique comment il a cru qu’il était possédé par le démon, avant de se libérer de son conflit intérieur.
Bastian Melcher a longtemps cherché l’aide de Dieu pour se « convertir » et se libérer de ses « démons ». Aujourd’hui âgé de 31 ans, ce croyant a vécu dans l’espoir de pouvoir se débarrasser de ce qu’il pensait être des péchés, par des « thérapies », avant de prendre conscience qu’il était sur la mauvaise voie. Mais comment chasser les « démons », c’est-à-dire ses penchants pour les personnes du même sexe ? « J’ai vécu avec ce sentiment de reproche pendant des années. J’ai prié sans cesse pour que ces attirances [envers les hommes] s’en aillent pour toujours », explique-t-il. Ce conflit intérieur le mène rapidement dans une impasse qui le rend malade. « Il était difficile de concilier ma croyance avec mon homosexualité. Pour moi, il était clair que Dieu avait créé l’homme et la femme. Il n’y avait pas d’autre choix dans ce monde, sur Terre », ajoute-t-il. « À la fin, je n’en pouvais plus. Je me disais que la seule issue de secours était de mettre fin à mes jours », raconte-t-il.
Lorsque la paroisse prend conscience de son orientation sexuelle, elle le menace de ne plus lui confier des activités avec les jeunes, s’il ne se convertit pas. « Ils m’ont dit : tu n’es pas mauvais. Mais tu ne dois pas vivre avec tes péchés », raconte-t-il. Pour « plaire à Dieu », comme il dit, et pour ne pas perdre le contrôle sur sa vie, Bastian Melcher suit alors, à partir de 16 ans, des « thérapies » et récite des « prières réparatrices ». Des séances qui ressemblent à de l’exorcisme. Il se souvient comment le prédicateur lui a mis les mains sur l’épaule et a prié. Il prétendait qu’il voyait de la fumée sortir de son dos et les démons quitter son corps. « Il a ajouté qu’il y avait encore un démon noir, encore plus grand, qui était responsable de l’homosexualité. Et que j’en étais libéré », raconte-t-il.
Dieu à la rescousse
Bastian a aussi goûté aux thérapies de groupe pour tenter de se « libérer du mal ». « Nous avons beaucoup chanté. Il y avait des prêches. Ensuite, on se réunissait à six ou huit personnes, comme dans des groupes d’alcooliques anonymes, et l’on pouvait se parler mutuellement. On priait et on essayait de se soutenir ». Naturellement, Bastian n’a jamais réussi à se « convertir ». Régulièrement, il « rechute » et rencontre secrètement d’autres hommes, amplifiant chaque fois son sentiment de honte. « J’ai mené une double vie. Je suis tombé en dépression. J’ai utilisé l’alcool et des médicaments pour me rendre la vie plus agréable », témoigne-t-il. « Les thérapies ne faisaient qu’aggraver la situation car je gardais l’espoir que Dieu allait changer les choses. J’ai beaucoup prié mais, dès que je replongeais dans une relation homosexuelle, je me sentais coupable. On m’acceptait comme être humain tout en exigeant de moi que je me débarrasse de mes pulsions. On me disait que je ne pouvais pas vivre dans le péché. Cela m’a rendu fou et m’a plongé dans le désespoir. À la fin, je ne savais plus quoi faire », avoue-t-il.
Quand la loi protège
Bastian Melcher va se libérer de ce fardeau lors d’une Gay Pride à Hanovre, une manifestation revendiquant la liberté et l’égalité des différentes orientations sexuelles. « J’y allais juste pour voir. Là, j’ai rencontré quelqu’un qui est devenu mon compagnon », confie-t-il. À partir de ce moment-là, tout a changé. « J’étais enfin devenu ce que je suis : un homosexuel qui vit avec un homme. » Sa famille se déclare d’abord horrifiée par la nouvelle. Seule sa sœur se réjouit de ce coming out qui le « rend heureux », dit-elle. Finalement, ses parents, très religieux, reviendront vers lui pour lui assurer tout leur amour. « L’homosexualité n’est pas une maladie », insiste Jens Spahn, le ministre conservateur de la Santé, rappelant au passage que l’Organisation mondiale de la santé a seulement retiré en 1990 l’homosexualité de la liste des maladies psychiques. Il sait de quoi il parle : il est lui-même homosexuel. « Il n’y a donc besoin d’aucun traitement », ajoute le ministre qui a rédigé une loi interdisant aux moins de 18 ans ces pseudo-thérapies, dont certaines sont remboursées par des caisses d’assurance maladie.
Le texte de loi interdisant les thérapies de conversion pour mineurs sanctionnera les contrevenants par de lourdes amendes (30 000 euros) et des peines allant jusqu’à un an de prison. © Pupkin Film/Collection ChristopheL/AFP
Le texte, qui sanctionnera les contrevenants par de lourdes amendes (30 000 euros) et des peines allant jusqu’à un an de prison, a été entériné en Conseil des ministres, le 17 décembre 2019 et doit entrer en vigueur cette année. Il est destiné à interdire tout traitement, médicamenteux et psychique, destiné à modifier l’orientation sexuelle ou le genre. Selon les experts médicaux qui ont travaillé sur le sujet, ces pseudo-thérapies sont très préjudiciables. Comme Bastian Melcher, les victimes souffrent généralement de dépression et de pensées suicidaires. « Ces thérapies ne soignent pas. Elles rendent malade et sont dangereuses pour le corps et l’esprit », martèle Jens Spahn. Cette interdiction adresse également un signe à tous ceux qui restent tiraillés par leur homosexualité. « Notre message est le suivant : sois comme tu es, c’est bien comme cela ! », ajoute le ministre. La loi vise également des organisations proposant des thérapies de conversion à des personnes en « conflit avec leur identité de femme ou d’homme », tel le site évangélique Wuestenstrom qui opère désormais via un hébergeur suisse. L’organisation prétend, entre autres, que l’homosexualité ne fait pas partie de la personnalité.
Oser s’affirmer
Pour Bastian Melcher, cette loi constitue un progrès. « Il est essentiel que les Églises catholique et protestante affirment que l’homosexualité n’est pas une maladie », estime-t-il. C’est d’ailleurs le message qu’a voulu faire passer le groupe de travail œcuménique sur l’homosexualité et l’Église. « Les Églises reconnaissent les conclusions de la science et elles savent que l’homosexualité n’est pas une maladie. Elles déconseillent ces thérapies », explique le porte-parole de l’association, Thomas Pöschl, qui s’est félicité de cette loi.
« Aujourd’hui, en regardant en arrière, je regrette d’avoir voulu à tout prix me transformer », explique Bastian Mechler. « J’aurais aimé une aide des cercles religieux, pas pour me changer, mais pour savoir comment vivre dans l’Église afin de pouvoir construire une vie normale. »
Depuis qu’il a accepté son orientation sexuelle comme faisant partie de sa personnalité, il va beaucoup mieux. Il a quitté sa communauté religieuse mais sans perdre la foi. Pour lui, Dieu existe. Il sait aujourd’hui que le Seigneur l’accepte comme il est et qu’Il l’aime.