Espace de libertés | Mai 2020 (n° 489)

Laïcité en Italie : le « stress test » du Covid-19


International

Le pays européen le plus durement frappé par la pandémie compte chaque jour ses morts par centaines depuis les premiers décès le 22 février dernier. Une nation dont le peuple au tempérament réputé indomptable lutte courageusement contre une urgence inconnue jusqu’ici. Un combat contre le virus… et l’hégémonie de l’Église catholique.


En Italie, bien que la laïcité soit reconnue comme principe suprême de l’ordre constitutionnel et induite de la Charte fondamentale par la Cour constitutionnelle, l’enchevêtrement entre les institutions publiques et ecclésiastiques est ambigu, et l’Église est généreusement subventionnée par l’État. Ainsi, chaque année, plus de six milliards d’euros sont versés à la faveur de la seule Église catholique, un milliard l’étant par le biais du système de taxation obligatoire appelé « huit pour mille ». Ce système inclut aussi d’autres confessions religieuses, mais suite à un mécanisme pervers, il permet au premier bénéficiaire, en l’occurrence l’Église catholique qui recueille 37 % des préférences des contribuables, de recevoir plus de 80 % du montant total.

Malgré cette situation privilégiée et la situation d’urgence causée par la pandémie de coronavirus, l’Église catholique est loin de faire preuve de la même générosité qu’elle sollicite chez ses fidèles. Elle se distingue même par un piètre soutien financier face aux nombreux besoins qui se font sentir – les dons de la population allant essentiellement vers les organisations catholiques comme Caritas ou la Banque alimentaire. Les autres confessions religieuses se démarquent, elles, par leur générosité. Et même l’Unione degli Atei e degli Agnostici Razionalisti1, à sa petite échelle, a pu organiser une collecte de fonds en faveur de la recherche scientifique et ainsi récolter plus de 15 000 euros.

Le pape, à la une et à la maison

Au-delà de l’aspect financier qui met en avant le déséquilibre, propre à l’Italie, entre les œuvres de charité chrétienne et la recherche scientifique, la situation d’urgence fait la une. Les médias ne cessent de se faire l’écho des interventions du pape François. À défaut de pouvoir remplir la piazza San Pietro d’une foule fervente, ses sermons sont retransmis à la télévision à un peuple forcé de rester à la maison, et résonnent dans presque tous les salons. Ainsi la RAI, le principal groupe audiovisuel public italien, diffuse sur sa première chaîne télévisée la messe du pape chaque matin en direct. La conférence épiscopale italienne dispose pourtant de sa propre chaîne de télé nationale, TV2000, mais la RAI ne tarit pas de commentaires et retransmet les bénédictions, invocations et autres exorcismes depuis le toit de la cathédrale de Milan ou depuis une place Saint-Pierre déserte. La télévision publique diffuse ainsi fièrement les messages vidéo de Jorge Mario Bergoglio pendant les informations du soir avec une plus grande importance que celles du président de la République. Parallèlement, les premières pages des journaux ne manquent pas de mettre en valeur les moindres faits et gestes du pape, même quand il s’agit de promenades en solo (mais sous grande escorte, bien entendu offerte par l’État italien) sans masque et en totale violation des règles de distanciation sociale.

Parish priest Don Antonio Lauri (L) hands a palm branch to a girl after celebrating Palm Sunday mass from the rooftop of the San Gabriele dell'Addolorata church in Rome on April 5, 2020, during the country's lockdown aimed at curbing the spread of the COVID-19 infection, caused by the novel coronavirus. (Photo by Tiziana FABI / AFP)

Malgré l’escalade tragique du nombre de morts et malgré les premières réactions des prélats eux-mêmes, les mesures sanitaires n’ont pas toujours été bien suivies par différents représentants de l’Église. © Tiziana Fabi/AFP

La foi au détriment de la santé

Le confinement n’a pas été facile à respecter pour les croyants, une des premières mesures de lutte contre la propagation du virus étant l’interdiction de tous les rassemblements, en ce compris religieux. Malgré l’escalade tragique du nombre de morts et malgré les premières réactions des prélats eux-mêmes, l’arrêt des messes publiques ainsi que des célébrations de mariages, baptêmes et funérailles religieuses, a créé de nombreuses frictions et résistances. La contamination de seize personnes ayant bu au même calice lors de retraites spirituelles organisées par le Chemin néocatéchuménal dans la province de Salerne fin février et début mars n’a pas servi de leçon. Et en Lombardie, la région la plus touchée d’Italie, les églises restent ouvertes pour la prière individuelle. Dans ce contexte, les interdictions et violations ont été nombreuses : des messes organisées dans l’illégalité, des baptêmes bondés, des cortèges et autres processions maintenus et peut-être dirigés par des curés positifs au Covid-19, ont fortement contribué à la propagation de l’infection. Même des voix politiques se sont levées, plus catholiques que le pape, Salvini en tête, pour la restauration des liturgies surpeuplées. Car, pour reprendre les mots du leader multidivorcé de la Ligue du Nord, « la science seule ne suffit pas pour faire face à la pandémie ».

Entraves aux droits à la santé

Plus révoltant encore, la pandémie a servi d’excuse aux mouvements anti-choix qui en ont profité pour demander que les interruptions volontaires de grossesse soient éliminées de la liste des interventions urgentes non différées malgré le Covid-19. Leur proposition n’a pour l’instant pas officiellement été acceptée, mais de nombreux hôpitaux les ont déjà suspendues. La demande des gynécologues non objecteurs de conscience, c’est-à-dire ceux qui pratiquent les avortements, de procéder par voie médicamenteuse plutôt que de recourir à la chirurgie n’a pas non plus été acceptée. Les procréations médicalement assistées ont quant a elles été suspendues, tout comme les visites endocrinologiques obligatoires pour recevoir les médicaments nécessaires à la transition de genre. Les personnes transgenres sont donc actuellement obligées de voir toute voie thérapeutique interrompue.

L’usage de la superstition et de la diffusion de fake news ou l’appel aux traditions catholiques comme méthode pour identifier un ennemi extérieur par les politiques ne sont pas surprenants. Scandaleux, certes, mais pas surprenant dans un pays dont l’école publique consacre autant d’heures à l’enseignement de la religion catholique qu’aux matières scientifiques. Mais l’Italie ne se résume pas à cela, heureusement. Ce pays où un citoyen sur six n’est pas croyant exporte les meilleurs médecins, scientifiques et chercheurs du monde. La solidarité n’y est pas seulement catholique. Et la laïcité de la santé publique, bien que mise à mal, permet un accès égal aux soins, pour toutes et tous, et pas seulement pour certains. Contrairement aux vérités révélées.

Nous ne savons pas si andrà tutto bene (tout ira bien), et comment. Le monde de demain nous attend. Le déconfinement sera lié à la recherche, aux avancées de la science et non à la prière, à l’œuvre des êtres humains et non à une quelconque intervention divine. Il ne faudra pas l’oublier.


1 Pour rappel, l’UAAR ne reçoit aucun financement public, malgré une demande introduite il y vingt ans.