Espace de libertés | Mai 2020 (n° 489)

Communes hospitalières : plus qu’un slogan !


Libres ensemble

Trois ans après son lancement, « Commune hospitalière », la campagne de sensibilisation aux questions migratoires, mobilise une commune francophone sur trois. Un constat et des réalités, des engagements différents d’un lieu à l’autre, mais une bonne nouvelle : le message est plutôt bien passé !


En deux ans de campagne « Commune hospitalière », de nombreuses municipalités ont pris, en faveur des migrants en Wallonie et à Bruxelles, des engagements dont la force varie d’une majorité à l’autre. Que ce soit par le biais de leur CPAS, de leur police locale ou encore de leurs administrations, les pouvoirs locaux disposent d’une série de leviers leur permettant de faciliter, sur leur territoire, la vie des résidents étrangers en situation précaire.

Lancée en 2017 par le CNCD-11.11.11, le CIRé (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et étrangers), Amnesty International et Médecins du monde, cette campagne avait pour but de rappeler l’existence et l’utilité de ce pouvoir. Depuis, plus de septante communes se sont déclarées « hospitalières ». Être une commune hospitalière, cela implique avant tout de s’engager à mener une politique migratoire basée tant sur le respect des droits humains que sur les valeurs de solidarité. Dans ce cadre, la commune mène des actions concrètes en faveur de trois publics cibles : les demandeurs d’asile, les sans-papiers et les migrants, et prend des engagements fermes en matière de sensibilisation d’accueil et de séjour des migrants sur son territoire. Cela étant dit, derrière cet accueillant qualificatif, se cachent des réalités parfois bien différentes.

État d’urgence

À Waremme, la Maison de la Laïcité se retrouve fort seule dans l’accueil des migrants sur le territoire de la commune. Début 2018, en réaction à la gestion politique catastrophique en matière de politique migratoire, l’établissement décide de se mobiliser et de transformer ses locaux en un relais de jour. Sa présidente, Jacqueline Gihousse, rappelle : « Tout est parti de démarches individuelles dans le chef de plusieurs personnes. Nous véhiculions des migrants depuis le parc Maximilien, à Bruxelles, à l’aller comme au retour, et ce, afin de les acheminer dans des familles d’hébergeurs habitant à Waremme ou dans les environs. » De fil en aiguille, l’idée s’impose de prévoir un endroit où accueillir ces personnes pendant la journée. Des vêtements sont récoltés et des vivres distribués aux migrants, qui emportent ce dont ils ont besoin. De la vingtaine de personnes qu’elle aide, la Maison de la Laïcité se retrouve certains jours avec quatre-vingt. « On est en permanence dans l’urgence en se demandant si demain, il y aura toujours assez de bénévoles », poursuit Jacqueline Gihousse.

(crop) A refugee child is waiting in line for aid from Turkish relief organizations in Pazarkule camp on the Turkish-Greek borderon 15 March 2020 (Photo by Belal Khaled/NurPhoto)

Il n’est pas illégal d’aider humainement ces populations en transit. Ce qui l’est, c’est de se servir d’elles pour en tirer un profit personnel, comme le font les passeurs. Ici, c’est un acte purement humanitaire. © Belal Khaled/NurPhoto/AFP

La Maison attendait de la commune, pourtant « hospitalière », qu’elle adhère pleinement à cet élan de solidarité. Par exemple, en mettant à leur disposition des infrastructures d’accueil à destination des migrants. Or, à en croire Jacqueline Gihousse, Waremme chercherait au contraire à éviter toute solution. « Nous avons rencontré les autorités pour tenter de trouver un lieu pour les migrants au début de l’opération, mais depuis, rien n’a été fait. On continue de solliciter la commune, mais elle préfère maintenir le statu quo, estimant que nos initiatives ont créé un appel d’air. »

Cité ardente et citoyenne

À quelques kilomètres de là : Liège. Première grande ville francophone à devenir « hospitalière ». En novembre 2017, le conseil communal adoptait à l’unanimité une motion par laquelle la Ville s’engageait à améliorer l’information et l’accueil des personnes migrantes, quel que soit leur statut. Un programme qui a par ailleurs été consacré dans la déclaration de politique communale, après les élections de 2018.

Cette motion est le fruit d’un véritable travail de concertation entre les autorités communales et le Collectif liégeois pour une justice migratoire rassemblant des citoyens et des citoyennes, ainsi qu’une cinquantaine d’associations. La motion liégeoise reprend avec précision les règlements et les droits des personnes en garantissant systématiquement l’interprétation la plus favorable aux migrants, notamment en matière de logement, d’accès à la formation ou aux soins de santé. Depuis le vote de cette motion, différents sous-groupes de travail ont été mis en place ; ils sont composés de membres de l’administration, du politique et du collectif. « Ce travail en sous-groupe permet d’avancer sur les demandes spécifiques du collectif, relatives jusqu’ici au logement, à la formation, au CPAS, à la police, ou encore à la situation des femmes migrantes précaires, etc. », explique Emmanuelle Vinois, juriste à l’ASBL Point d’Appui.

Mais des défis restent évidemment à relever, à l’instar de l’amélioration du délai de traitement des dossiers au CPAS ou quant à la mise en place d’un local permettant d’accueillir pendant la journée des migrants en transit. Seule frustration d’Emmanuelle Vinois : le temps que prend une décision. « Depuis les élections communales, on constate moins d’avancées. En attendant la mise en place des cabinets de la nouvelle majorité politique, il a fallu relancer la machine. Pour le monde associatif et au vu des urgences rencontrées, c’est beaucoup trop lent. Même si on travaille dans un climat de confiance. »

Un sentiment partagé par l’échevine de la Solidarité internationale de Tournai, l’écologiste Coralie Ladavid. « Étant donné qu’on est confronté à cette problématique des transmigrants, la prise de conscience est forte. Se pose pour les autorités communales la question de la légalité d’un accompagnement. Je n’arrête pas de travailler sur cette question avec le bourgmestre, mais effectivement, il y a la crainte d’un appel d’air chez certains, raison pour laquelle il faut déconstruire cette logique. Mais cela prend du temps et génère des frustrations au sein des bénévoles sur le terrain. »

Tournai est devenue « hospitalière » en 2019. Depuis, c’est un vaste chantier qui s’ouvre pour les autorités locales à travers des groupes de travail avec les acteurs associatifs, comme c’est le cas à Liège, à travers l’accès au logement ou l’accueil des personnes étrangères à l’administration communale. « Finalement, il s’agit de mieux coordonner et valoriser des choses qui existent déjà à l’égard de ce public. Cette dynamique est intéressante, elle s’inscrit dans une réelle logique participative entre citoyens, associations et autorités », indique encore l’échevine Écolo.

Au-delà des espérances

Cet élan de solidarité ne concerne pas uniquement les grandes villes. Ainsi il y a trois ans, Habay, commune de 8 400 habitants située en province de Luxembourg, signait elle aussi la motion. Fin 2019, elle passait à l’action en proposant d’ouvrir un local pour accueillir ces populations en transit. Un espace géré par des bénévoles où les migrants pourront se reposer, se réchauffer, prendre un repas et recevoir des soins plutôt que de zoner dans des camps de fortune régulièrement démantelés par les services de police. C’est que dans la région, depuis des mois, les transmigrants sont nombreux et, jusque-là, les bénévoles se relayaient pour aider ces personnes à simplement se nourrir, dormir. Pour le bourgmestre MR, Serge Bodeux, « il n’est pas illégal d’aider humainement ces populations en transit. Ce qui l’est, c’est de se servir d’elles pour en tirer un profit personnel, comme le font les passeurs. Ici, c’est un acte purement humanitaire ».

De l’aveu du CNCD-11.11.11, la campagne « Commune hospitalière » a dépassé les espérances, avec une mobilisation dans une commune francophone sur trois. « C’était à la base une campagne de mobilisation citoyenne destinée à interpeller les communes. Notre vocation n’était pas d’analyser tout ce que les communes mettaient en place », précise Carine Thibaut, directrice de la campagne. Au fond, l’objectif était simple : il était important que les citoyens s’expriment sur la question des migrations, et que le terrain ne soit pas uniquement occupé par des professeurs de haine.

Quant aux résultats, même si le CNCD n’est pas là pour remettre un bulletin aux communes, force est de constater qu’ils peuvent varier ostensiblement d’une commune à l’autre : « À Liège, le collectif a obtenu des choses très concrètes. Les femmes sans papiers ont pu avoir accès aux soins obstétricaux, ce qui n’était pas le cas auparavant. Toute une dynamique s’est également mise en place à Namur et au Luxembourg sur la problématique des migrants en transit, comme à Habay. »

Fin 2019, les collectifs, qui agissaient chacun de leur côté au niveau de leur commune, ont commencé à se rassembler pour coordonner leurs revendications et interpeller la Wallonie. « Quel que soit le niveau de pouvoir, les collectifs veulent peser dans la balance et obtenir des actions concrètes des autorités », rappelle Carine Thibaut. Une réunion a eu lieu ces derniers mois avec les autorités régionales. « Parmi les idées déposées sur la table, des actions d’aide médicale urgente au travers de bus itinérants ou encore une plus grande implication des CPAS dans l’aide aux migrants. Les mois qui viennent diront si les promesses se sont traduites en actions concrètes. »