Espace de libertés | Mai 2020 (n° 489)

(R)allumons les lumières ! (Jean Lemaître)


Opinion

Quelquefois, l’histoire, la petite comme la grande, se rappelle à nous au travers de récits et d’expériences qui ne perdent rien de leur pertinence. L’écrivain Jean Lemaître pointe l’intense actualité d’un projet libertaire du passé.


« Il était une fois, au fin fond de l’Alentejo, un petit village, pas gaulois mais portugais, qui faisait de la résistance : le Vale de Santiago. Là-bas, les gens vivaient encore comme au Moyen Âge. Les latifundistes régnaient en maîtres absolus, plongeant dans une misère noire les paysans sans terres, obligés de travailler comme des esclaves, pieds nus dans les champs, le dos courbé, sous un soleil de plomb.

C’est alors que, en Alentejo, une poignée d’hommes redressèrent la tête, résolus à en finir avec cette exploitation capitaliste. C’étaient pour la plupart des autodidactes. Ils se disaient anarcho-communistes. L’anarchie, version pacifiste, fraternelle ; le communisme, au sens premier du terme, le bien commun avant tout. À leur tête, Antonio Gonçalves, représentant de commerce, lui-même fils d’un humble cordonnier.

L’idée de ces hommes ? Au niveau local, démontrer qu’il y a des alternatives concrètes au capitalisme tout puissant et à sa meilleure alliée, la résignation. Et ainsi, inciter d’autres à se mettre debout, en s’organisant collectivement.

Animés par Gonçalves, ces courageux décident de créer une commune, qui sera baptisée « des lumières ». Ils réunissent un modeste capital, achètent quatre kilomètres carrés de terres abandonnées, au Vale de Santiago. Ils sont une quinzaine, hommes, femmes et enfants. Ils rafistolent les bâtiments en ruine. Ils sèment légumes et fruits. Et ils se lancent dans la production de chaussures artisanales de qualité, proposées aux villageois à bas prix, grâce à la mutualisation et à l’absence de profit. Dans l’enceinte de la commune, une école prend naissance, inspirée du modèle émancipateur de Francisco Ferrer. Elle accueille les gosses du coin qui y apprennent à lire et à écrire, et aussi à réfléchir de façon critique en futurs citoyens actifs. Entre les « communards » et la population locale, des liens solidaires s’établissent. Dans tout l’Alentejo, le rouge Vale de Santiago devient un phare d’espérance…

J’oubliais de le préciser. La Commune des lumières a été fondée en 1916. C’était hier ! Et aujourd’hui, cette maudite pandémie nous révèle les dysfonctionnements d’une société qui détruit l’humanité et nous ramène aux ténèbres du Moyen Âge. Dès lors, si nous reprenions nous-mêmes le cours de l’histoire là où elle a disjoncté… Et si, sur une page blanche, nous (ré)écrivions notre propre projet, futur et désirable, qui pourrait s’inspirer de la commune du Vale de Santiago ? »