Espace de libertés | Février 2020 (n° 486)

La maison australe brûle (Véronique Bergen)


Opinion

Les images de cette boucle de feu entourant l’Australie et des dégâts provoqués au niveau de la faune et de la flore, de même qu’auprès des habitant.e.s de ce pays-continent, ont marqué le monde. L’auteure de romans écologistes Véronique Bergen nous livre son point de vue sur cette tragédie


« Les flammes vont plus vite que le cerveau de nos dirigeants. C’est la première idée qui nous a traversés, nous, les citoyens, les Aborigènes, les koalas, les kangourous, les oiseaux, les reptiles, les arbres. Alors que l’Australie part en fumée, que les flammes ravagent le bush, rayant des millions d’hectares de terres, décimant près d’un milliard d’animaux – oui, un milliard, vous avez bien lu –, le gouvernement prend des mesures dérisoires, ânonnant, avant même d’intervenir, que la situation est devenue incontrôlable. À nos forêts sauvages, uniques au monde, ils préfèrent leurs mines de charbon, leurs exploitations et extractions suicidaires. La colonisation a massacré les Aborigènes, tenté de mettre à mort leurs savoirs, leur sagesse qui prend soin de la Terre, du vivant. Les climatosceptiques qui nous dirigent parachèvent le travail.

L’apocalypse, nous la subissons depuis des mois. La vie meurt : humains, koalas, kangourous, chevaux léchés par les flammes, calcinés. Des volontaires héroïques, des pompiers tentent d’endiguer la colère du feu tandis qu’en haut lieu, ils crachotent, pris dans des nuages de fumée qu’aucune aube ne dissipe, “les feux sont hors de contrôle”. Pendant des semaines, il y a disette de canadairs pour éteindre le brasier. Mais quand il s’agit d’ajouter la mort à la mort, de parachever l’infamie, le régime envoie des hélicoptères pour décimer dix mille chameaux coupables de consommer trop d’eau, d’assoiffer les Aborigènes. Des voix des scientifiques, de militants s’élèvent, pointant la gestion catastrophique, cynique de l’eau en Australie, la vente à prix d’or de réserves aquatiques à des multinationales qui font main basse sur l’or bleu.

Il n’y a pas à s’en remettre à une danse de la pluie, à prier pour les koalas, les chats sauvages, les marsupiaux grillés vifs ou survivant dans un environnement dévasté qui signe leur mort. À l’heure où des centaines de millions de vies sont rayées de la carte, le Premier ministre australien plastronne, un bout de charbon dans la main, et le boss des USA déclare la guerre à l’Iran. Un faible pourcentage de koalas ont survécu, privés de leur écosystème. Parmi les espèces endémiques, le potorou dont l’habitat a été entièrement dévasté, le bandicoot brun du Sud, le dunnart, l’opossum-pygmée, la grenouille pseudophryne corroboree basculent dans les espèces éteintes. Que les fossoyeurs de la planète prennent garde. Le contre-feu de la société civile s’apprête à les déboulonner. »