Espace de libertés | Février 2020 (n° 486)

La dérive fasciste de l’extrême droite allemande


International

L’aile identitaire, proche des milieux néonazis, continue d’étendre son influence dans les instances du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).


L’arrivée de plus d’un million de migrants a permis à l’AfD, parti d’extrême droite donné pour mort au début de l’année 2015, de ressurgir sur la scène politique en attaquant la politique de l’asile d’Angela Merkel. « Cette crise des réfugiés a été comme un cadeau tombé du ciel », se réjouissait alors Alexander Gauland, le chef idéologue du parti. Créée en 2013 par des eurosceptiques favorables au retour du Deutsche Mark et à la sortie de l’Allemagne de l’Union européenne (Dexit), l’AfD se radicalise à chaque nouvelle élection. « Certains élus ont déjà clairement dépassé les limites des règles démocratiques », constate Gerd Mielke, politologue à l’Université de Mayence.

En vampirisant l’électorat des partis établis et en mobilisant les abstentionnistes, ce jeune parti d’extrême droite a réussi à entrer au Parlement fédéral (Bundestag) comme première force d’opposition en 2017 (12,6 % des voix). Le succès de candidats proches des néonazis aux trois dernières élections régionales à l’Est, avec des scores dépassant les 20 % des suffrages (parfois devant les conservateurs du camp Merkel), a permis de renforcer l’influence des identitaires dans les instances fédérales.

Lors du dernier congrès du parti à Brunswick, fin novembre dernier, ils ont réussi à faire élire à la coprésidence Tino Chrupalla, un député de Saxe qui bénéficie du soutien de la frange la plus radicale du parti, pour succéder au patriarche Alexander Gauland. Björn Höcke, un ancien professeur d’histoire de lycée, est la figure de proue de cette frange radicale dont la rhétorique est inspirée du national-socialisme. « Cet homme parle comme Goebbels », confirme Gero Neugebauer, politologue à l’Université libre de Berlin (FU).

Une aile grandissante

L’été, une centaine de membres de l’aile libérale du parti avaient tenté de briser le « culte Höcke » pour stopper la dérive autoritaire de leur formation. Mais leur appel est resté lettre morte. En raison de positions trop radicales, la direction du parti avait même envisagé d’exclure Björn Höcke. Mais il est devenu entre-temps indispensable. Son courant, Die Flügel (« L’aile »), rassemblerait entre 30 et 40 % des membres du parti, selon les estimations. À force de provocations, l’ancien pestiféré est devenu l’un des piliers du mouvement. « Björn Höcke incarne l’âme du parti », estime aujourd’hui Alexander Gauland, chef idéologue d’une formation qui siège désormais dans tous les parlements régionaux et qui dépasse les sociaux-démocrates dans les intentions de vote.

18 September 2019, Thuringia, Arnstadt: Björn Höcke, top candidate and regional chairman of the AfD Thuringia, speaks at the start of the election campaign of the AfD Thuringia. Photo: Michael Reichel/dpa

Björn Höcke est la figure de proue de la frange radicale de l’AfD, ce parti dont la rhétorique est inspirée du national-socia­lisme. © Michael Reichel/DPA Picture-Alliance

Björn Höcke s’oppose aux principes mêmes de la démocratie. « S’il prenait le pouvoir, son premier objectif serait de démonter la Constitution », insiste Markus Linden, politologue à l’université de Trèves. Cet Allemand de l’Ouest, parachuté comme beaucoup d’autres candidats dans les Länder de l’Est, a reconnu qu’il avait trouvé dans l’ancienne RDA le « bon terreau ». « Nous sommes allés à l’Est parce que le complexe colonial n’y existe pas », dit-il.

Promesses antimigrants

Bien que le taux d’étrangers en Thuringe soit le plus faible d’Allemagne (4,9 %), Björn Höcke a promis à ses électeurs un « programme d’expulsions systématiques » des illégaux. « Si l’État n’est pas capable de fermer ses frontières, nous en érigerons nous-mêmes en Thuringe », dit-il. Le radicalisme des identitaires ne joue pas en leur défaveur, comme l’a prouvé le candidat de l’AfD dans la région du Brandebourg. L’ancien parachutiste Andreas Kalbitz était au premier rang avec Björn Höcke lors de la « marche funèbre » de l’extrême droite à Chemnitz en septembre 2018. Cette manifestation avait rassemblé tous les mouvements néonazis de la région pour protester contre la politique de l’asile d’Angela Merkel après le meurtre d’un Germano-Cubain par un réfugié. Andreas Kalbitz, qui a notamment dirigé une association culturelle regroupant d’anciens SS, a réalisé près de 24 % aux élections régionales en septembre. « Il ne s’agit pas seulement d’un vote de protestation », insiste le politologue Ilko-Sascha Kowalczuk, auteur d’un best-seller sur les traumatismes de la réunification à l’Est. « Deux tiers des électeurs de l’AfD à l’Est partagent l’idéologie des candidats. L’ancienne RDA est un terrain propice à l’extrémisme de droite, car l’antisémitisme et le racisme n’ont jamais été thématisés comme à l’Ouest. Il existe une nostalgie d’un État autoritaire avec des frontières bien hermétiques », analyse-t-il.

Nostalgie du passé brun

Ces identitaires évoquent le « grand empire allemand » et minimisent la responsabilité de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale en pestant contre le mémorial de l’Holocauste à Berlin. « Nous, les Allemands, sommes le seul peuple au monde à avoir planté au milieu de sa capitale un mémorial de la honte », avait déclaré Björn Höcke à Dresde en janvier 2017. Une « honte » que les identitaires interprètent dans un sens particulier. L’idéologue du parti, Alexander Gauland, a qualifié les 60 millions de morts du nazisme de « détail » (Vogelschiss) de l’histoire. Il réclame le droit d’être « fier » des « performances des soldats allemands pendant la Seconde Guerre mondiale ». Ce représentant de l’aile nationale conservatrice soigne un look very british pour mieux cacher des idées inspirées du national-socialisme. « En glorifiant les performances de la Wehrmacht [l’armée régulière avant 1945, NDLR], ses positions s’approchent des idées négationnistes », estime le politologue Gero Neugebauer.

Ces identitaires entretiennent des liens avec le mouvement islamophobe et antidémocratique Pegida et autres réseaux néonazis en dénonçant un prétendu « remplacement de la population par les musulmans ». « L’AfD est devenue plus radicale que le Rassemblement national (RN) en France ou le parti d’extrême droite autrichien (FPÖ) qui ont des forces modérées importantes », insiste Markus Linden. Pour la classe politique allemande, l’AfD se fait donc le complice de la violence d’extrême droite (entre 100 et 170 morts depuis la réunification, selon les estimations). Pour les leaders des partis établis, l’AfD est moralement responsable de l’attentat antisémite de Halle en septembre, mais aussi de l’assassinat par un néonazi d’un élu conservateur promigrants en juin dernier. « Les paroles favorisent le passage à l’acte », a accusé Angela Merkel.

« Les modérés ont tous quitté le navire », constate l’universitaire Bernd Lucke, fondateur et ancien président de l’AfD lui-même chassé par les radicaux en 2015. Et depuis le congrès de Brunswick, la direction de l’AfD semble avoir définitivement perdu le contrôle du courant fasciste.