Espace de libertés | Février 2020 (n° 486)

Mourir, pourrir, c’est tout un. Tel est le sort de nos chers petits corps lorsqu’ils commencent à blairer la mort. Pour pallier ce triste fait, les uns inhument, les autres incinèrent, certains exposent ou immergent. D’aucuns font montre d’imagination. Ainsi en va-t-il de l’étonnante stratégie funéraire déployée par les Oloh Ot de Bornéo qui creusent un trou dans un grand arbre, caveau végétal où trouve place le cadavre. L’arbre reste en vie et après quelque temps, l’écorce se referme sur le mort qui repose en sa dernière demeure chlorophyllienne. Selon ce groupe ethnique, l’Esprit créateur ou l’Ancêtre mythique de l’humanité, surnommé Seigneur du royaume des morts, loge dans les arbres : en somme, telle une hamadryade, Dieu serait arboricole, tout comme les âmes défuntes. Ainsi, le mort rejoint la divinité dendritique et atteint l’au-delà lorsqu’il est absorbé par l’arbre. Confondu avec sa sève, ses branches, ses feuilles, ses racines, il fait désormais partie du paysage.

Notre Occident semble s’inspirer de cet exemple venu d’Indonésie : à Arbas, en Haute-Garonne, une forêt funéraire abrite des urnes cinéraires. Elles y sont déposées au pied des sapins, épicéas, frênes et autres hêtres. Les matériaux composant l’urne ont évidemment été sélectionnés : pas de plastique, pas de bois traité, rien que du biodégradable. Le durable étant devenu urgent, même les funérailles se font vertes, d’où cette apparition d’ »obsèques durables », bel oxymore s’il en est.

La pratique existe depuis 2001 en Allemagne : près de deux cents parcs et forêts funéraires y ont vu le jour. Parmi eux, le bois de Nuthetal-Parforceheide situé au sud de Berlin compte des arbres dont le tronc est enserré par des turbans bleus ou jaunes, selon que l’arbre est propriété privée ou partagé par une quinzaine d’urnes. Tout décorum (photo jaunie, fleurs en plastique décoloré, poème ridicule, prière infantile, etc.) est proscrit. Seule manifestation de l’ego tolérée : une discrète plaque en aluminium portant le nom du défunt. La Belgique embraye. Depuis 2004, Tournai possède son cimetière sylvestre : quatre-vingts colonnes, sorte de « passe-mémoire » qui représentent – rendent présent – le disparu, s’élèvent dans un bois.

Ces forêts de morts qui poussent ici et là en Europe ne sont pas sans rappeler la pratique de l’humusation qui consiste à déposer le corps dans un compost recouvert d’une couche de matières végétales broyées. L’homme devenu broyat retourne ainsi à son statut d’humus, ce qui revient à faire preuve d’humilité. Les Oloh Ot auraient-ils lancé une mode ?