Espace de libertés | Février 2020 (n° 486)

Des idées et des mots

Depuis toujours, les sociétés humaines ont inventé des récits pour expliquer le monde, incluant leurs propres hiérarchisations. Toute organisation sociale repose sur une théorie qui justifie les inégalités. Le dernier ouvrage de Thomas Piketty démontre que les croyances que nous entretenons aujourd’hui à propos du capitalisme et de l’institution de la propriété privée ne sont pas moins critiquables que celles qui prévalaient en des temps plus ou moins lointains. Avoir une confiance aveugle en son aptitude à renouveler son programme politique et son idéologie serait une grave erreur. C’est ce que suggère le – scientifiquement très solide et étayé – matérialisme historique défendu par le célèbre économiste. Il ne s’agit pas de s’opposer à la propriété privée, mais plutôt de la (re)cadrer pour lui redonner son ambition originelle, c’est-à-dire l’émancipation des individus, par l’affirmation de leur capacité d’agir. L’idée est de resserrer les règles autour de l’accumulation du capital afin de le démocratiser et de le faire circuler pour en tirer des bénéfices qui soient réellement collectifs. Il s’agit de dépasser la sacralisation de la propriété privée qui, en devenant une fin en soi, devient contre-productive, notam­ment en raison de nos régimes fiscaux qui sont de plus en plus iniques. En fin de compte, les nombreuses propositions comme la justice éducative, la justice au sein des entreprises, l’institutionnalisation d’un héritage universel ou le social-fédéralisme globalisé ne feront certainement pas l’unanimité chez les épigones de l’hétérodoxie néo-classique, ni même chez les familles politiques se disant socialistes. N’en demeure pas moins que Piketty place des bases très solides pour suggérer une nouvelle économie politique. Que ce soit en contexte de crise sociale et écologique à venir, ou advenant une crise financière encore plus importante que celle de 2008 et qui nous pousserait collectivement à changer de système économique. Bref, un pari contre le capitalisme. (jfg)