Espace de libertés | Mars 2019 (n° 477)

La culture s’active pour plus de parité


Culture

Depuis le secteur des arts visuels jusqu’à celui de la scène, les femmes militent pour l’égalité des genres et, dans la foulée, des minorités. Par la mise en place de collectifs ou au travers de pratiques artistiques singulières, la mouvance culturelle s’organise.


« À l’origine du Collectif F.(s) fondé en 2017, une situation d’abus qui impliquait David Strosberg, l’ancien directeur du Théâtre des Tanneurs. Puis, lors de l’appel d’offres en vue du recrutement d’une nouvelle direction », poursuit la comédienne Valérie Bauchau, « alors que trois femmes et un homme étaient retenus dans la sélection finale, c’est à nouveau un homme qui a été nommé directeur. On a donc voulu dénoncer une situation qui ne laisse pas de place aux femmes. » Depuis lors, ce collectif, dont la Plateforme d’échange professionnel – un groupe fermé sur Facebook – rassemble 1 700 membres, s’organise et communique par différents réseaux. Via un système de communication interne comme Intrapad, il est possible de poser des questions, de planifier des rencontres… Le fonctionnement du collectif, horizontal, est réparti en sections thématiques : chiffres et statistiques, rencontres avec la ministre de l’Égalité des chances, volet informatif pour présenter sa candidature lors d’appels d’offres, sont repris sur l’application.

Les budgets sont généralement accordés aux femmes pour des films courts ou expérimentaux. Tandis que pour les longs-métrages qui génèrent plus d’enjeux financiers, les budgets sont dévolus aux hommes.

« Aujourd’hui, on observe une prise de conscience, mais il n’est pas encore évident de mettre des choses en place. Ça bouge lentement », relève Valérie Bauchau. « C’est un métier très difficile, car il repose sur le désir du metteur en scène et cela génère parfois des rapports intimes ou peu respectueux. Mais cela change grâce aux réseaux sociaux. De même, des directions de théâtre veillent désormais à la parité dans la programmation.

Formaliser l’égalité

Du côté de la ministre Alda Greoli, nous attendons le nouveau décret sur les arts de la scène et espérons qu’il y sera tenu compte de nos revendications. » À savoir, la parité dans le secteur donc, avec notamment au minimum un tiers de représentation féminine dans les conseils d’administration et des indicateurs genrés (salaires hommes/femmes…). « Plus de 70 % du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles va aux hommes. Nous voulons également davantage de femmes aux postes de direction via un processus démocratique, et dans les instances d’avis, en particulier par rapport à la répartition des subsides. Jusqu’à présent, ces instances comptent dix hommes pour une femme. Si la situation n’évolue pas, nous redescendrons dans la rue. »

De F.(s) à Elles font des films

Les constats et revendications sont similaires dans le milieu du cinéma. « En Belgique, la moitié des étudiants des écoles de cinéma sont des femmes. Mais seules 20 % exercent dans la profession », dénonce Martine Doyen, réalisatrice, membre de la Société des auteurs et autrices SACD et du collectif Elles font des films.

Lancé sous l’impulsion de la SACD, le collectif se veut une plateforme de réflexion et d’action en vue d’améliorer la présence des femmes dans l’ensemble des professions liées au cinéma (cinéastes, chefs d’op’, technicien.ne.s…). « Au fil des réunions, on discute de l’avancement de certains dossiers, on essaie de trouver des réponses. Par exemple, pourquoi la plupart des réalisatrices ne font que des documentaires et pas de fiction ? La majorité des producteurs sont des hommes. Les budgets sont généralement accordés aux femmes pour des films courts ou expérimentaux. Très peu pour les longs-métrages qui génèrent plus d’enjeux financiers. »

Courtesy guerrillagirls.com

© Guerrilla Girls courtesy guerrillagirls.com

Moins de moyens financiers, cela signifie moins de possibilités de réaliser de bons films, de collaborer avec des gens expérimentés… « Je n’ai travaillé qu’avec des débutants. Aucun chef d’opération n’était disponible car ils attendaient des projets mieux payés. Le côté pervers, c’est que l’on dit qu’il y a moins de femmes car elles sont moins douées. Beaucoup vont faire un premier film, puis abandonnent ou font du documentaire, voire tournent de la fiction comme un docu. Mais le processus de création est différent. Et ce type de film a moins de notoriété et donc moins de possibilités d’y associer de grands noms, de distribution à l’étranger, de coproductions, d’être sélectionné dans des festivals. »

Ici encore, on attend de voir. « Avec la nouvelle génération de décideurs et les débats dans la presse se profilent des ouvertures, ponctue Martine Doyen. Par ailleurs, au sein du collectif se mêlent différentes tranches d’âge. Les réalisatrices les plus investies ont la trentaine, ce qui permet aussi de miser sur le long terme. »

Activisme visuel

Pourtant, le combat ne date pas d’hier. Il secoue les arts visuels depuis les années 1960, comme l’a rappelé l’exposition « Résistance » qui s’est tenue à la Centrale for Contemporary Arts jusque fin janvier. Parmi les artistes représenté.e.s, 40 % de femmes, dont le célèbre collectif new-yorkais Guerrilla Girls, collectif constitué d’artistes anonymes portant un masque de gorille pour dénoncer un système artistique très machiste, également invité à y performer. Maïté Vissault, historienne d’art et curatrice constate que « dans les années 1960, les femmes artistes ont commencé à porter la voix de manière très combative pour avoir les mêmes droits que les hommes. Le mouvement a pris plus d’ampleur vers la moitié des années 1980 avec les Guerrilla Girls. Elles ont débuté leur activisme dans la rue avec des affiches aux slogans provocateurs et ont contribué à une plus grande reconnaissance des femmes artistes. Aujourd’hui, le collectif milite aussi en faveur des ethnies de couleur, du milieu homosexuel, des démunis… pour une société plus égalitaire. »

Dans le sillon, d’autres pratiques ont émergé comme celles des Femen ou des Pussy Riot. « Depuis dix ans environ, des activistes sociales et politiques utilisent le langage de l’art sans être forcément artistes. Ces mouvements ont également toute leur importance. Les Pussy Riot ont joué avec les clichés associés à la femme – cagoules tricotées, etc. – et utilisent le corps féminin avec un côté militant. Elles ont une influence dans l’art féminin actuel qui s’affirme autrement, de façon plus revendicative. »

Depuis une décennie également, l’on assiste à une plus grande présence des femmes dans les arts visuels. Par ailleurs, le secteur ressort des artistes militantes qui ont beaucoup agi dans l’ombre et dont les œuvres sont dorénavant bien cotées sur le marché de l’art.  Mais, enchaîne Maïté Vissault, par ailleurs ancienne directrice de l’ISELP, « on n’atteint pas encore la parité du côté de l’institutionnel ou du secteur de l’art. On est dans le monde des requins et de la finance, et peu de femmes dirigent des galeries, centres d’art ou musées. Je pense que l’on peut compter au maximum trois femmes à la tête d’institutions culturelles en Belgique. »

Récupérer le corps féminin

L’artiste activiste Julie Scheurweghs (1988, Ostende), qui expose au Botanique jusque fin mars, confirme de son côté qu’ »il y a encore beaucoup plus d’expositions solos d’artistes masculins que féminines dans les musées et les galeries. Et la plupart du temps, quand vous voyez des femmes dans un espace d’exposition, elles sont nues et il s’agit du modèle, pas de l’artiste ». Car le regard proposé est souvent masculin, voyeuriste. « Le fait que le corps féminin, dans notre société, ait toujours été regardé différemment du corps masculin m’a toujours interpellée. Dans les sociétés occidentales, on a souvent l’impression que le corps de la femme ne lui appartient pas. »

Dans son travail, l’artiste rééquilibre la donne, par exemple en 2014, avec The morning after présenté dans le cadre de Summer of Photography/Bozar. « Je m’y présentais en tant que femme ayant eu beaucoup de rapports sexuels sans lendemain, en faisant au passage la promotion d’une sexualité responsable car protégée. Cela est toujours perçu comme choquant, alors qu’un homme qui se vante de ses multiples conquêtes peut passer pour un héros. »

Dans la série Woman as parts exposée au Botanique, Julie Scheurweghs se focalise sur « le fait qu’il arrive trop souvent que les femmes ne soient pas vues comme formant un tout. On n’en présente alors qu’une seule partie ou facette à la fois, et ce dans un but bien déterminé. Les exemples de la publicité ou de la pornographie sont flagrants à ce sujet. Par ce travail, elle tente de récupérer/réclamer le corps féminin, au travers d’un autre aspect tabou de la féminité dans notre société : l’accouchement. »

Collective ou individuelle, la militance féminine s’affirme de plus en plus au sein des arts, secouant les mentalités et peu à peu les pratiques. Mais le processus reste lent.