Espace de libertés | Mars 2019 (n° 477)

Un tremplin pour l’intégration


Libres ensemble

L’accompagnement scolaire des enfants migrants reste insuffisant, alors que le nombre de jeunes en âge d’être scolarisés ne cesse d’augmenter. Heureusement, des initiatives existent comme avec la Petite École ou l’école Maximilien. Des tremplins précieux pour favoriser une scolarisation sereine.


Depuis 2016, au cœur de Bruxelles, la Petite École permet l’accompagnement d’enfants réfugiés peu ou pas scolarisés. Une dizaine d’enfants, entre six et treize ans, sont accueillis dans une ancienne épicerie à proximité de la gare du Midi. « Le lieu est conçu comme une petite maison pour que les enfants s’y sentent bien, un peu comme chez eux », explique Nathalie. Après 25 années passées dans l’enseignement classique, l’institutrice s’investit depuis quatre mois dans le projet. « Nous ne sommes pas une école, plutôt un lieu d’apaisement, de transition entre une vie nomade, avec peu d’ancrage, et la future vie que ces enfants auront en Belgique à travers l’école. »

6-year-old boy doing homework with his mother, Cutrofiano, Italie ©Philippe Lissac/Godong/Leemage

La Petite École n’est pas une école, plutôt un lieu d’apaisement, de transition entre une vie nomade, avec peu d’ancrage, et la future vie que ces enfants auront en Belgique. © Philippe Lissac/Godong/Leemage

Au milieu des livres d’art, des figurines enfantines côtoient quelques animaux empaillés. Ce cadre apaisant contraste avec l’agitation extérieure du boulevard, mais aussi avec les traumas qu’ont connus ces enfants, souvent venus de pays en guerre comme la Syrie. La plupart ont vécu l’exil et en gardent toujours des séquelles comme l’angoisse, la crainte de l’abandon. « On n’est pas encore dans les apprentissages, et on ne suit pas non plus le programme scolaire », continue Nathalie. « Les enfants ont un tel passé post-traumatique, un tel degré de non-socialisation qu’il faut tout construire avec eux. Ils ont aussi des niveaux très différents : certains arrivent à décrypter chiffres ou lettres, d’autres n’arrivent pas à reconnaître des formes. Pour certains, tenir un crayon ou tracer sans déchirer le papier reste une tâche trop compliquée. »  Le premier objectif de l’enseignante est de leur apprendre à vivre en groupe, à rester calmes et à écouter avant de passer à des apprentissages plus classiques. Le projet s’articule finalement autour de trois axes : apaisement, socialisation et disponibilité pour les apprentissages. « En septembre, quand les enfants sont arrivés, ils ne cessaient de courir, de se battre, de crier, ils touchaient à tout… Pour les apaiser, on passe par des rituels pour se situer dans l’espace et le temps. Il faut que chaque chose soit à sa place, que chaque pièce ait son utilité. Les activités sont toujours les mêmes, et ce, afin de répéter les mêmes gestes pour peindre, cuisiner ou apprendre la langue. »

Place à la parole

Le maître-mot : prendre le temps, s’adapter au rythme de l’enfant. Et cela semble fonctionner. Des enfants qui, au départ, étaient incapables de se concentrer parviennent au fil des mois à rester attentifs ; d’autres qui n’osaient pas prendre la parole arrivent à se présenter devant la classe. « Ils commencent à avoir confiance en eux, mais surtout en l’adulte. Ils deviennent peu à peu disponibles et curieux face aux apprentissages, plus respectueux des codes et du matériel scolaires. » La volonté est de laisser une place importante à la prise de parole et à l’échange autour du ressenti des jeunes. Des symboles permettent de dialoguer, de faire état de ses sentiments, positifs ou négatifs, de tisser un lien avec les adultes, notamment leurs parents. Chaque matin, ceux-ci sont invités à partager un petit-déjeuner avec les enfants et les enseignant.e.s afin de mieux se connaître, de réduire la méfiance vis-à-vis de l’institution scolaire et de découvrir le travail des enfants. Avec ses trois autres collègues, l’institutrice ne ménage pas ses efforts, tant pour innover, apporter des solutions pédagogiques adéquates à chaque enfant que pour accompagner les familles dans la recherche d’une école.

Des valves solidaires

Un travail que mène aussi l’école Maximilien. Depuis ses débuts, en 2015, l’école a évolué, répondant d’abord à l’urgence de l’arrivée de migrants au parc Maximilien, avant de s’établir depuis l’automne dernier dans des locaux à Ixelles. Au fil du temps, beaucoup d’enfants ont pu être scolarisés, aussi l’école Maximilien a-t-elle repensé son offre là où des besoins ont été identifiés face à un système scolaire qui ne tient pas suffisamment compte de leur vécu et de leurs réalités. « L’accueil de ces enfants n’est pas du tout optimum. Sur le terrain, les jeunes ne bénéficient pas toujours de l’accompagnement nécessaire pour apprendre la langue, par exemple. Quand ils y ont accès, ils sont complètement perdus, tout comme les enseignants, la plupart démunis face aux défis quotidiens que nécessite un élève primo-arrivant », constate Nadia, la coordinatrice. C’est la raison pour laquelle l’école travaille à un projet de valves solidaires qui consisterait à un parrainage des enfants primo-arrivants au sein de leur école grâce à des enseignants ambassadeurs qui décèleront leurs besoins, collecteront des dons et les achemineront vers leurs familles. Cela pourrait aller de simples fournitures scolaires à des vêtements, mais pas uniquement. « On favorise le circuit court des dons, en promouvant le contact entre enfant, enseignant et parent », résume Nadia. L’autre volonté est de mettre en lien les écoles autour de cette thématique – y compris celles qui ne comptent pas d’élèves primo-arrivants – dans le but de créer des échanges aussi vifs que variés entre enfants et enseignants. Et pourquoi pas, par la suite, de mettre en lien des familles d’élèves. « C’est une manière de briser un cercle vicieux, celui de l’isolement, et de toucher un maximum de personnes sur cette thématique, de façon à ce que l’accueil d’un enfant primo-arrivant devienne un automatisme… » Pour Nadia, ce sont souvent des choses toutes simples à mettre en place qui permettent d’accueillir l’enfant en classe. « En proposant, par exemple, à un élève d’être le parrain ou la marraine du jeune qui arrive, de façon à faciliter son processus d’inclusion. »

DASPA, un dispositif à renforcer

Si de telles initiatives existent, l’accompagnement scolaire des enfants migrants reste lui malheureusement insuffisant en Fédération Wallonie-Bruxelles malgré, depuis trois ans, un nombre d’enfants primo-arrivants en constante augmentation (de 1 100 enfants en 2015, on est passé à 2 046 en 2017). Un rapport récent de l’UNESCO pointait notre pays comme l’un des plus inégalitaires en matière de décrochage scolaire, pour ce public en particulier. Face à ces réalités, un nouveau décret concernant la scolarisation des primo-arrivants, devrait permettre à la prochaine rentrée de les toucher davantage grâce au DASPA (dispositif d’accueil et de scolarisation des primo-arrivants). Outre une augmentation des moyens budgétaires alloués à ce dispositif destiné à réduire les inégalités dans les acquis langagiers, et soutenir ainsi la réussite scolaire et l’insertion de ces jeunes, le décret redéfinit le public cible pour que chaque enfant primo-arrivant puisse bénéficier d’un encadrement spécifique.

Un changement bienvenu aux yeux de Marine, enseignante dans une classe DASPA au sein d’une école d’Ixelles qui accueille des étudiants venus essentiellement du Brésil, d’Afrique centrale, d’Europe de l’Est ou d’Asie. Celle-ci ne peut, hélas !, répondre à toutes les demandes pour accueillir les élèves primo-arrivants. Malgré cette insuffisance de places, Marine est convaincue de l’intérêt du dispositif qui permet à l’élève de se sentir véritablement accueilli. « C’est très important de l’intégrer dans une structure scolaire basée sur la confiance, en respectant son parcours, son histoire, ses difficultés pour pouvoir travailler immédiatement avec lui. Je pars du principe qu’un élève qui ne se sent pas à l’aise à l’école aura plus de difficultés pour apprendre. » Au quotidien, la vraie difficulté d’une telle classe reste, aux yeux de l’enseignante, d’accompagner un public varié, avec des temps de progression très divers en fonction des vécus des enfants. Les élèves pouvant aller et venir toute l’année dans le dispositif. « On se retrouve avec des jeunes âgés de 12 à 18 ans : certains partent de zéro, d’autres sont plus avancés », témoigne Marine. « Il y a un roulement permanent : quelques-uns quitteront très vite le groupe pour rejoindre une classe de secondaire, certains resteront plus longtemps. On ne sait pas à l’avance qui sont les élèves qui seront en face de nous. »