Espace de libertés | Mars 2019 (n° 477)

Les mouvements de défense des femmes qui se sont (ré)activés les dernières années sont-ils de nature à véritablement faire évoluer le droit des femmes, d’une part, et les mentalités d’autre part ? L’opinion de Laurence Rosier, docteure en philosophie et lettres et professeure de linguistique à l’ULB. Elle vient de recevoir le Prix 2018 du meilleur ouvrage destiné à l’enseignement et à l’éducation permanente du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour son livre De l’insulte… aux femmes.


Depuis les premiers mouvements féministes, on a assisté à des reconfigurations de luttes suivant les priorités, les points de vue et aussi les médias utilisés. Le féminisme numérique, qu’on a pu qualifier de quatrième vague du féminisme, s’est caractérisé par une diffraction des paroles, au-delà des associations classiques, avec des appropriations plus individuelles, mais aussi des solidarités nouvelles ou renouvelées. La traque et le décodage systématique du sexisme ambiant  du sexisme bienveillant au sexisme hostile  est l’une des perspectives visibles sur le Net d’une des manifestations du féminisme 2.0. Cette réflexion systématique, partagée, discutée me semble faire partie d’une nécessaire déconstruction du système patriarcal, qui rentre plus globalement dans l’éducation au sens large. Paradoxalement, le sexisme, les remarques misogynes, les « retours de bâton » sont devenus également plus visibles, tout comme les violences incessantes à l’égard des femmes. Sous couvert d’humour par-ci, de lutte contre le politiquement correct par-là, cette parole des femmes est constamment évaluée, jugée, sommée d’argumenter et/ou de mieux nuancer. Cette parole, ou plutôt ces paroles, revendiquent aussi bien la liberté des corps que la lutte contre les diktats de beauté encore et toujours véhiculés par les médias, comme la dénonciation des violences conjugales, la fragilité des lois sur l’avortement, la visibilité des femmes, le point de vue des femmes racisées, la représentation des femmes dans les médias, le tabou économique du coût des règles….

Il est un discours commun qui renvoie toujours les femmes aux priorités de leur combat et à une hiérarchie supposée des revendications. On l’a vu notamment avec les polémiques autour de l’écriture inclusive. Or, il apparait que les luttes des femmes sont la plupart du temps croisées, combinées, et que lutter pour l’égalité des salaires passe aussi par une visibilité socio-linguistique des professions. Le démontage des stéréotypes dès les débuts du parcours scolaire, par exemple, est une piste fructueuse. Mais la vigilance sur les droits acquis reste intacte.

Dès lors, le 8 mars, important ou anecdotique ? On a aussi besoin de symbolique, une mémoire des combats (depuis le début du XXe siècle, des journées avaient vu le jour dans le monde). Une date permet de fédérer, de visibiliser, d’organiser des actions qui sont menées tout au long de l’année. C’est une manière de faire le point, de se retrouver aussi entre militant.e.s. Cela ne doit pas être une date prétexte à des promesses électorales ou à des effets d’annonce, mais elle me semble nécessaire pour rassembler, à un moment donné, toutes… et tous. (se)