Humour volontiers dérangeant et comique de l’absurde : la troupe des Monty Python s’est formée il y a cinquante ans. L’occasion d’un échange sur le politiquement (in)correct au cinéma et dans la société en général en compagnie d’un des membres les plus éminents de la bande des six : Terry Gilliam, récemment croisé au Festival international du film du Caire. Un éternel ennemi de la langue de bois !
Vous souvenez-vous du contexte dans lequel les Monty Python sont apparus à l’écran ?
Comme si c’était hier ! Les producteurs de la BBC One, où passait l’émission, ne voyaient dans la tranche horaire qu’ils nous avaient octroyée qu’un programme mineur, sans beaucoup d’importance ni de risques, d’ailleurs. Ils nous ont laissé carte blanche ! Jamais auparavant la télévision n’avait connu une telle déferlante de réactions à la fois ravies, mais aussi choquées, de la part des spectateurs qui, au début, se demandaient ce qu’ils voyaient. Des inconscients, ces dirigeants de chaîne… [rires]
Inconscients, peut-être. Mais ils vous ont en tout cas laissés sévir avec un humour très politiquement incorrect !
De fait ! J’ai récemment retrouvé notre première liste d’accessoires pour nos sketches initiaux. Nous réclamions un assortiment de soutiens-gorge, de culottes et de collants, un drapeau à croix gammée, et une copie de la toile de Turner, Le Dernier Voyage du Téméraire, dans un cadre détachable pouvant être cassé et mangé. Cela a certainement choqué des gens en interne, mais nous avons quand même tout reçu. Signe que même si nous étions perçus comme de sérieux empêcheurs de penser en rond, la direction de la chaîne trouvait notre humour salutaire. Cinquante ans plus tard, il aurait tout simplement été impossible de lancer les Monty Python. On ne peut dorénavant plus rire de tout, voire plus rire de grand-chose, en fait. Le politiquement correct a gagné, et avec lui est arrivé le règne des censeurs en tous genres. On n’a jamais eu autant de chaînes de télé, et elles se sont rarement montrées aussi timorées.
Était-ce mieux avant ?
En ce qui concerne la liberté d’expression, j’ai peur que oui ! Quand je vois que Facebook censure des photos des œuvres de Courbet ou de Modigliani, car on y voit des tétons, je me dis que ce n’est pas gagné. Regardez aussi les lanceurs d’alerte : ils sont souvent poursuivis, alors que ce sont ceux qui ont été dénoncés qu’il faudrait inquiéter. Quand je me retourne, je ne vois les héritiers de l’impertinence des Monty Python nulle part. Tandis que l’humour est presque une cause d’utilité publique.
L’Américain de la bande excelle dans le domaine de l’absurde. cc Eduardo Unda-Senzanay
Faudrait-il pouvoir rire de tout, donc ?
Idéalement, oui. Car je pense que l’humour est salutaire. Il permet tout simplement de mieux connaître la réalité de l’autre. Sans aucun cynisme ni provocation, je dirais que La Vie de Brian a davantage fait connaître la vie de Jésus aux non-croyants que n’importe quel autre bouquin qui se prend très au sérieux. Le film, sorti en 1979, raconte l’histoire de Brian Cohen, né dans une étable avoisinant celle d’un autre bébé, tous deux nés le même jour, à la même heure. L’autre bébé étant Jésus de Nazareth, l’histoire de Brian va se retrouver mêlée à celle du Christ dans un imbroglio délirant. Une belle idée. Mais, encore une fois, aujourd’hui, elle terrifierait n’importe quelle société de production.
Pourquoi ?
Car ces gens sont obsédés par l’idée de plaire au plus grand nombre et de ne pas vexer qui que ce soit. Mais à force de ne vouloir froisser personne, on finit par aboutir à des œuvres tellement aseptisées qu’elles en perdent tout intérêt. La meilleure preuve, c’est que cinquante ans après les Monty Python, vous m’en parlez encore. Est-ce que dans cinquante ans, un journaliste s’intéressera à des sagas de super-héros genre Avengers ? Je doute… Aujourd’hui, c’est le règne des algorithmes.
C’est-à-dire ?
Le cinéma fonctionne comme des sites marchands dans le genre d’Amazon. Vous avez aimé ceci ? Alors vous aimerez cela ! Résultat : on ne sort plus jamais de sa zone de confort en allant à la rencontre d’autres genres de films. C’est du nivellement par le bas, la culture du copier-coller. Un film comme La Vie de Brian n’allait forcément pas faire que des heureux, nous en étions conscients. Mais peu nous importait. Le cinéma existait aussi pour faire bouger les lignes.
La naissance de La Vie de Brian a-t-elle donc été mûrement réfléchie à l’époque ?
Oui, oui ! Cela ne partait pas d’une simple improvisation. La réflexion de base était simple : « Pourquoi ne pas faire un film qui se moquerait de la vie du Christ de la même façon que Sacré Graal ! avait ridiculisé celle du roi Arthur quatre ans plus tôt ? » À la télé, nous avions déjà ri des politiciens, de la mort, de beaucoup de personnages historiques et des travers de leurs concitoyens. Même de la reine et du Premier ministre. En même temps, nous aimions assez la figure du Christ, un type plutôt sympathique avec ses messages du genre « Aimez-vous les uns les autres ».
Vous trouviez le Christ « plutôt sympathique », mais certains de ses sympathisants, eux, n’ont pas trouvé le film si sympa que ça…
À New York, des pasteurs et des prêtres, mais aussi des rabbins, ont marché ensemble pour conspuer le film. Par contre, le public, lui, adorait. C’est donc lui, et pas les bien-pensants de tous bords, qui a compris l’aspect sérieux du film : la dénonciation du fanatisme religieux par Brian. Qui n’est autre que la dénonciation de l’aveuglement du public face aux leaders, qu’ils soient politiques, économiques, ou autres.
Nous sommes ici au Festival international du film du Caire. Que vous inspire le fait qu’un pays aussi traversé par les religions fasse de vous son invité d’honneur ?
Cela montre que les mentalités évoluent dans le respect, et une compréhension mutuelle. Hier, dans la rue, quelqu’un m’a dit qu’il était un religieux fervent, mais que La Vie de Brian l’avait fait réfléchir au sujet de son engagement et de ses croyances. Il croyait toujours en sa religion, mais comprenait à quel point cela pouvait sembler désuet pour d’autres. L’air de rien, les Monty Python ont fameusement fait progresser la liberté d’expression.
Le pensez-vous vraiment, ou est-ce une pure provocation ?
Je persiste et signe. La liberté, quelle qu’elle soit, n’a jamais progressé que par des mouvements dérangeants. Cela concerne aussi bien le cinéma que les luttes sociales de n’importe quelle sorte. Il faut choquer un minimum pour avancer.