Espace de libertés | Mai 2020 (n° 489)

Corona, climat, même combat ?


Dossier

La crise sanitaire que nous traversons n’est pas une fatalité. Elle a de nombreux liens avec le modèle économique qui prévaut depuis quarante ans. À première vue, elle peut paraître avoir une répercussion salutaire : celle de diminuer, même provisoirement, l’impact environnemental des activités humaines. Nous rêvons d’un monde où la transition écologique permettrait à chacune et chacun de vivre dignement, tout en respectant les limites planétaires. Cependant, rêver ne suffira pas. Si nous voulons que le monde change, il nous faudra retrousser nos manches, car le débat ne fait que commencer !


Quel lien peut-il bien y avoir entre le Covid-19 et le climat ? Après tout, selon les analyses les plus sérieuses, l’épidémie semble provenir uniquement de la mauvaise gestion sanitaire sur un marché chinois. À y regarder de plus près cependant, les liens entre environnement et santé sont beaucoup plus ténus que ce que l’on pourrait penser. Plus largement, cette crise nous montre que la mondialisation dans sa forme actuelle, si elle a permis une augmentation de la richesse mondiale, a aussi eu ses travers : par la pression qu’elle exerce sur l’environnement, par la multiplication des déplacements et des échanges, par la diminution du rôle stratégique des États, par l’augmentation des inégalités, elle a rendu le monde plus vulnérable à une pandémie telle que celle que nous affrontons aujourd’hui.

Les sombres conséquences de l’activité humaine

Ces dernières décennies ont vu émerger une série de nouvelles maladies ; les VIH/SIDA, Ebola, Zika et autre H1N1, inconnus voici quelques décennies, nous sont désormais familiers. Or, ces maladies, de même que le Covid-19, ont toutes un point commun : elles trouvent leur origine dans des agents pathogènes portés par des animaux, inoffensifs pour ceux-ci mais qui, une fois transmis à l’être humain, s’avèrent extrêmement dangereux. Et comme le met en évidence la journaliste Sonia Shah, cette multiplication des transmissions entre espèces vivantes a un lien direct avec la pression que nous exerçons sur les zones sauvages1. De plus, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a depuis longtemps mis en évidence les effets importants que le dérèglement climatique peut avoir sur la santé, notamment via la multiplication des vecteurs de transmission. S’il n’y a pas de lien direct démontré avec le Covid-19, d’autres pandémies se répandent aujourd’hui du fait du réchauffement climatique, à commencer par celles qui sont portées par les moustiques : paludisme, Zika, dengue, etc. Elles menacent principalement les pays en voie de développement, mais pourraient affecter demain des zones telles que le sud de l’Europe.

Plus largement, ce sont les liens indirects qui sont frappants. Et au centre des attentions se trouve l’extraction massive de ressources fossiles, base de l’explosion de consommation énergétique inséparable de la révolution industrielle. Celle-ci a permis une amélioration évidente des niveaux de vie mais est inséparable de la multiplication des déplacements de biens et de personnes. Elle est par ailleurs la source de nombreux problèmes sanitaires, le principal étant l’émission de particules fines, qui cause des centaines de milliers de morts chaque année, dont plus de 9 300 en Belgique2. Or, comme l’a démontré une équipe de l’Université de Harvard3, il existe une corrélation entre l’exposition aux particules fines et le taux de mortalité au Covid-19. Dérèglement climatique, particules fines : deux phénomènes sans lien direct mais reliés entre eux par une même cause : les énergies fossiles.

Un répit pour la Terre

On pourrait donc se réjouir d’apprendre que la crise actuelle a entraîné un « répit pour la Terre ». Le Global Carbon Project (GCP) estime ainsi que les émissions de CO2 mondiales devraient chuter d’environ 5% en 2020, du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. À titre de comparaison, la dernière baisse des émissions mondiales datait de la crise financière de 2008 et avait été limitée à 1,4%. En 2018, le GIEC a publié à la demande des États, un rapport spécial : « Réchauffement planétaire de 1,5 °C ». Selon ce rapport, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient chuter d’environ 45% d’ici 2030 (par rapport à l’année 2010). En quelques mois, nous aurions donc enfin réalisé le premier grand pas vers la réalisation des ambitions climatiques réclamées par des millions de personnes dans les rues du monde entier depuis deux ans ?

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Malheureusement, la réalité est nettement plus complexe. En effet, la chute importante des émissions que nous observons actuellement n’est que provisoire. Il est évident que ces émissions repartiront à la hausse dès la reprise de l’activité économique. François Gemenne, professeur à l’ULiège, va plus loin : selon lui, le choc actuel risque d’avoir un effet néfaste d’un point de vue climatique. En effet, la nécessité de trouver des solutions économiques à court terme pour sortir l’économie du marasme pourrait pousser les gouvernements à remettre en cause les engagements déjà pris et à réduire le soutien de l’opinion publique, forcément marquée par les impacts sociaux d’une mise à l’arrêt de l’économie, à des mesures ambitieuses pour le climat4.

Vers un Green New Deal

Alors, que faire ? La période qui s’annonce verra probablement s’accentuer la polarisation entre les trois grandes tendances politiques qui émergent depuis une décennie. Premièrement, les tenants de la mondialisation néolibérale tendront à préserver celle-ci, avec l’arrivée probable de nouveaux plans d’austérité. Deuxièmement, le courant national-populiste pourrait se voir renforcé par les peurs nouvelles, le rejet d’une classe politique dont l’incapacité à gérer collectivement la crise sape la légitimité, et les conséquences sociales, les plans d’austérité. Il existe cependant une troisième voie. Construite autour du Green New Deal, elle consiste à allier économique, justice et respect de la planète. Elle demandera aux politiques, mais aussi à la société civile, de sortir des silos pour construire une approche globale de l’action publique : santé, climat, économie, etc. À ce titre, les dix-sept objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations unies en 2015 constituent une première base. Pour autant que l’on en fasse une réelle boussole de toutes les politiques5. Illusoire ? Peut-être pas : l’accord de gouvernement wallon est loin d’être parfait, mais représente une avancée réelle vers une approche intégrée de la transition. De même, le pacte vert pour l’Europe, lancé par la Commission européenne à la fin de l’année 2019, constitue un pas dans le bon sens – inimaginable il y a un an.

Pour y arriver, il n’existe pas des milliers de solutions. Si les responsables politiques se sont mis à bouger pour le climat, c’est parce que citoyennes et citoyens se sont manifestés, en masse et dans la durée. C’est aussi parce que la société civile a été capable de traduire ces mobilisations en revendications vis-à-vis des médias et du politique6. Si nous voulons que la reconstruction postCovid-19 se fasse sur de nouvelles bases, il nous faudra cependant passer à l’étape suivante : celle qui consiste à articuler un projet de société cohérent, à promouvoir collectivement. Le Green New Deal est à ce titre un excellent étendard, à condition qu’il ne soit accaparé par aucune « chapelle » mais serve d’espace de rassemblement pour construire un avenir juste et durable.


1 Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », dans « Le Monde diplomatique », mars 2020, p. 21.
2 Michel de Muelenaere, « 9 380 morts prématurées dues à la pollution de l’air en Belgique en un an », dans Le Soir, 16 octobre 2019.
3 Xiao Wu et Rachel C. Nethery (dir.), Exposure to air pollution and COVID-19 mortality in the United States, Boston, Harvard T.H. Chan School of Public Health, avril 2020.
4 François Gemenne, « Pourquoi la crise du coronavirus est une bombe à retardement pour le climat », dans Le Soir, 28 mars 2020.
5 Voir à ce sujet Éloi Laurent, SortAir de la croissance. Mode d’emploi, Paris, Les Liens qui libèrent, 2019, 205 p.
6 Nicolas Van Nuffel, « Coalition climat, catalyseur ou incubateur ? », dans Revue politique, janvier 2020.