Félix Faure, président français sous la IIIe République, celle de la France des méritants, décède le 16 février 1899, en pleine épectase. Cela vaudra à Clemenceau son bon mot : « Il se voulait César, il ne fut que Pompée. » Et ce sera, pour la dame qui était en sa compagnie au moment fatidique, le début de longues années de dénigrement et d’insultes. « La pompe funèbre », « la putain de la république » « la cocotte de Félix Faure », « la Lucrèce Borgia de l’Élysée » : c’est de cette « Madame S », Marguerite Meg Japy Steinheil, que nous parle Sylvie Lausberg dans son passionnant ouvrage. « Pourquoi s’est-on autant acharné sur cette femme… pourquoi avec tant de violence, de mesquinerie et de mensonges ? » Voilà la question de départ. Celle qui va mener sur le chemin de l’enquête, vingt années durant, Sylvie Lausberg, historienne, psychanalyste, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique et directrice de la cellule « Étude & Stratégie » du Centre d’Action Laïque. Trifouillant les archives, les biographies et les arbres généalogiques des grandes familles françaises, elle nous présente une héroïne pas comme les autres. Marguerite Japy n’est pas la prostituée qu’on a voulu nous faire croire pendant des décennies. Fille d’un industriel protestant de Belfort, qui lui vouait un amour débordant, elle est élevée dans une certaine insouciance, celle qui traverse la France de la Belle Époque et des Années folles. C’est son mariage avec un peintre académique parisien, bigleux et bisexuel, de vingt ans son aîné, Adolphe Steinheil, qui ouvre à Marguerite les portes d’un nouveau monde. Sylvie Lausberg nous plonge dans sa maison de l’impasse Ronsin, où « Meg » tient salon. C’est là qu’elle va croiser tout ce que le Paris de l’époque compte d’influent (Gounot, Coppée, Toulouse-Lautrec, Loti, Massenet). Elle y assume sa sexualité et son enthousiasme. Décrite jadis par une histoire finalement très masculine comme une cocotte de luxe sans éducation, elle en était tout le contraire. Républicaine, très grande bourgeoise, éduquée, dreyfusarde, elle fut une femme à l’indépendance farouche qui s’affranchit des conventions sociales, assumant sa sexualité, à l’image d’un féminisme précurseur. Roman, enquête, thriller historique : Sylvie Lausberg offre une ode à la fameuse « connaissance du Président qui est sortie par l’escalier » et la réhabilite. Rendant aussi hommage au rôle stratégique des maîtresses du pouvoir, et finalement, à toutes les femmes. Car ne dit-on pas que derrière chaque grand homme se cache une grande femme ? Elle pourrait tout aussi logiquement se dresser à ses côtés.