Les stéréotypes liés au genre s’imposent très tôt, dès la conception d’un enfant. L’éducation féministe des petites filles est à la mode, mais celle des petits garçons n’en est qu’à ses balbutiements. Les parents ont un rôle primordial à jouer, mais pourquoi est-ce si difficile de sortir des clichés ? Et surtout, comment éduquer les anti-machos de demain ?
Une maman bruxelloise s’étonnait il y a peu que les affiches d’Élise Gravel « Les filles peuvent… » et « Les garçons peuvent… » qu’elle a apportées à la crèche fréquentée par son petit garçon n’aient jamais été collées au mur de la section. Les bambins y jouaient sans distinction avec les poupées et les petites voitures, les services à thé et les dinos, mais au détour d’un atelier « collage de stickers », c’était quand même papier rose et licornes pour les filles et papier vert et locomotives pour les garçons. Eh oui, la voie de l’éducation non sexiste est parsemée d’embûches, même quand on y prête attention. Et les clichés liés au genre collent à la peau comme une gommette enduite de Super Glue.
Une maman parisienne – et par ailleurs journaliste au mensuel Causette –, a constaté de son côté qu’il n’existait aucun livre d’éducation non sexiste pour les parents de petits garçons, alors elle a décidé de l’écrire. Ainsi est né Tu seras un homme – féministe – mon fils !1 de la plume d’Aurélia Blanc. Loin d’elle l’idée de donner des leçons ; c’est à la rencontre de nombreux parents, éducateurs et éducatrices, professionnel.le.s de la petite enfance et d’universitaires qu’elle a identifié les manières de se comporter avec les petits garçons – et ce que cela induit – pour ensuite proposer de nouvelles voies de transmission des valeurs féministes et élever un petit garçon bien dans son corps et dans sa tête. « Et en faire un homme adulte conscient de ses privilèges et prêt à agir en faveur de l’égalité des genres. »
Victoire Tuaillon, journaliste à qui l’on doit l’excellent podcast « Les couilles sur la table », rappelle à bon escient ce qui est pourtant une évidence : « Tous les hommes sur cette planète ont été un jour des petits bébés et des petits garçons, ils ne se sont pas réveillés un jour à l’âge adulte avec des comportements sexistes. »2 Gloria Steinem l’écrivait déjà dans les années 1970 : « Je suis heureuse que nous ayons commencé à élever nos filles comme nos fils, mais cela ne marchera jamais tant que nous n’élèverons pas davantage nos fils comme nos filles. » Au micro de Victoire Tuaillon, Aurélia Blanc attire l’attention sur le rôle crucial de la famille comme premier lien de socialisation et des parents, comme premiers éducateurs… et vecteurs de stéréotypes, parfois à leur insu. Elle souligne que le problème ne vient pas que de l’école et de la société ! Que nous, parents, avons été façonnés par des clichés. De nombreuses études de psychologie sociale démontrent que les stéréotypes sexistes influencent un tas de choses, comme la façon de parler aux bébés (même in utero) ou la façon de percevoir et de réagir à leurs larmes en fonction de leur sexe. » Non, les bébés garçons ne pleurent pas seulement quand ils sont en colère, et non les bébés filles ne chouinent pas tout le temps pour rien.
Comme papa et comme maman
S’interroger sur notre comportement semble un bon point de départ. Penser à l’exemple que nous renvoyons aussi. À la maison, chez vous, comment s’organisent les tâches domestiques ? « À nous de montrer à nos petits bonshommes qu’ils ont un rôle à jouer dans le foyer. Que pour fonctionner, une collectivité a besoin de la participation de chacun.e (donc de lui), et qu’il n’y a pas de rôles prédéterminés parce que l’on est un homme ou une femme. »
Les enfants apprennent en nous imitant, on le sait, et les fabricants de jouets l’ont bien compris. Dînettes, poussettes, caisses enregistreuses en plastique et autres caisses à outils en bois font fureur chez les petits. À l’approche du passage de saint Nicolas et du Père Noël, la tendance est très récente, mais on commence à penser aux jouets différemment : en décembre dernier, Le Ligueur en appelait à « Un grand saint “dégenrant”« dans le cadre de la campagne « Fais pas ton genre » de La Ligue des Familles, et Tchika, le tout jeune magazine féministe pour les petites filles, lançait la campagne « Un poupon pour un garçon ». Mattia autant que Célia câlineront leur poupée puisque c’est ainsi que leurs parents prennent soin d’eux. Célia comme Mattia prendront le même plaisir à conduire leur propre petite moto : le goût de l’autonomie et de la liberté est le même pour tout le monde !
Haro sur les super-héros
Autre domaine où les représentations ont commencé à changer, où les superhéroïnes commencent à s’imposer parmi les princesses, mais où il y a encore du boulot : les dessins animés, « véritable école du sexisme », comme le souligne Aurélie Blanc. Une raison supplémentaire de contrôler l’accès et le temps d’exposition aux écrans !
La littérature jeunesse est loin d’être neutre, elle aussi. « La palme du sexisme revient aux éditions Fleurus avec leurs collections “P’tites filles” et “P’tits garçons” : pour eux, des voitures, des voitures et encore… ah tiens, des avions », ironise Aurélia Blanc sur les conclusions de Bénédicte Fiquet qui a passé au crible les rayons de littérature pour enfants3. Son conseil : analyser le livre selon une grille de lecture antisexiste en décortiquant les personnages, leurs rôles, les mots utilisés pour les décrire et les illustrations. Gaga est « fort », « malin » et « courageux » ; Fifi est « belle », « douce » et « minuscule » ? Voilà un album qui va nous tomber des mains ! Ceci dit, pourquoi ne pas l’utiliser pour parler des stéréotypes de genre avec Louis, justement ?
Section particulière de la littérature pour enfants, celle qui aborde les questions liées à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Aux éditions bruxelloises des Nez à Nez, la version pour les petites filles a précédé celle des garçons, histoire de rétablir la balance après l’hégémonie du Guide du zizi sexuel. Et dans Renardo veut tout savoir sur son zizi4, récemment sorti, Papy explique à son petit-fils : « Que vous soyez enfants ou adultes, garçons ou filles, votre corps et votre sexe vous appartiennent. On ne peut pas te toucher sans ton accord, et toi, tu ne peux pas toucher quelqu’un d’autre sans son accord. C’est ce qu’on appelle le consentement, et c’est très important ! » Une notion qu’il n’est jamais trop tôt d’inculquer aux enfants, a fortiori aux hommes de demain.
1 Aurélia Blanc, Tu seras un homme – féministe – mon fils ! Manuel d’éducation antisexiste pour des garçons libres et heureux, Paris, Marabout, 2018, 212 p.
2 Victoire Tuaillon, « J’élève mon fils », émission « Les couilles sur la table » #36, diffusée le 28 février 2019, à écouter en podcast sur www.binge.audio.
3 « 20 albums de jeunesse pour une éducation non sexiste », mis en ligne sur www.adequations.org.
4 Natacha de Locht et Laurent Carpentier, Renardo veut tout savoir sur son zizi, Bruxelles, Les Nez à Nez, 2019, 40 p.