En Belgique francophone, la représentation de la diversité dans les médias laisse à désirer. Comment expliquer que l’on voit si peu de personnes de couleur à la télé et que leur image soit si stéréotypée ? Pourquoi le média télévisuel n’est-il pas plus à l’image de notre société ?
Trop noire que pour « bien passer » à la TV. Voilà ce qui a été reproché à Cécile Djunga, il y a un peu plus d’un an de cela. La présentatrice météo de la RTBF a publié une vidéo « coup de gueule » sur Facebook après une énième envolée raciste. Ce jour-là, on l’appelait pour lui signaler qu’elle était « si noire qu’on ne voyait que ses vêtements à la télévision ». L’indignation publique qui a suivi semble encore trop ponctuelle. Car c’est un état de fait : les médias privilégient la représentation d’une certaine classe sociale et ethnique : le Blanc issu de la classe moyenne supérieure.
Cécile Djunga, porte-parole malgré elle du problème de représentation de la diversité culturelle sur le petit écran. © Romain Altché
En 2017, le baromètre « Diversité-Égalité » du CSA1 indiquait clairement que tous les facteurs de progression notés ces dernières années étaient en recul par rapport à 2013. Il révélait que, dans la publicité, 92,15 % des intervenant.es sont blanc.he.s. Tous programmes télévisés confondus, la place des Blanc.hes est de 85,61 %, soit 57 122 personnes sur les 66 722 comptabilisées. Les personnes de couleur représentent donc 14,39 % (contre 16,98 % en 2013). C’est dans le sport que la diversité est la plus importante (suivi des jeux télévisés et de la fiction), tandis que les programmes informatifs et les magazines-documentaires présentent le moins de diversité, respectivement 11,31 % et 12,25 % contre 32,94 % d’intervenant.e.s issu.e.s de la diversité culturelle dans le sport.
Une représentation stigmatisante
On remarque donc que quand elles sont représentées à la télévision, les minorités ethnoculturelles le sont d’abord dans la figuration et ensuite dans l’ordre du pathos et de la voix populaire dans 13,18 % des cas pour 7,74 % d’expert.e.s et 8,70 % de porte-parole. Les analystes du baromètre le disent clairement : « L’association des personnes issues de la diversité au sport, à l’exemplification vécue, au registre de l’affect et à l’univers ludique plutôt qu’au discours critique et à la parole d’opinion est un constat récurrent au fil des analyses. On soulignera que le rôle de figurant.e fait partie des rôles médiatiques où les personnes issues de la diversité sont les plus présentes : 15,37 %. Il s’agit donc d’un rôle de second plan. » Et ce, davantage encore pour les femmes issues de ce groupe « qui font l’objet d’une “invisibilisation” accrue dans l’espace médiatique »2.
Ainsi, promouvoir une vision ludique, sportive ou affective des minorités visibles conduit à la création d’une cosmogonie stéréotypée. Laura Calabrese, professeure spécialisée dans l’analyse du discour, à l’ULB explique : « On sait qu’à partir du moment où un groupe est reflété positivement dans les discours majoritaires, cela va avoir une incidence positive sur lui. À partir du moment où on leur donne de la visibilité, cela engendre un processus de “visibilisation” et les gens finissent par l’accepter. Cela ne va pas faire disparaître le racisme, mais cela va étouffer la parole raciste. Pour cela, une femme noire ne suffira pas ; il en faudrait dix ! »
Journaliste blanc, info blanche ?
Entre 2013 et 2017, le CSA pointe une baisse de 6,16 % de diversité (de 9,94 % à 3,78 %) au sein des journalistes. Conjointement, en 2017, une étude soutenue par la Fondation Roi Baudouin portant sur les attentes des Afro-descendants en Belgique dénote un résultat sans appel : le taux de chômage est quatre fois supérieur chez les Afro-descendants que dans la population belge, alors même que 60 % de la population belgo-africaine a un diplôme d’études supérieures. Malgré une diaspora hautement qualifiée comparativement à la moyenne belge, qui s’élève à 33 %, seulement 2,61 % des journalistes sont issus de la diversité (11,11 % en 2013). Quant aux postes les plus exposés, comme celui de présentateur ou de présentatrice à la télévision, ils sont encore plus difficilement accessibles. Le profil type du journaliste belge ? « Plutôt un homme d’une moyenne de 40 ans, dont un ou l’autre parent peut éventuellement être né à l’étranger, mais pas dans la plupart des cas », nous confirme Laura Calabrese, en citant une étude menée par l’Association des journalistes professionnels.
Blocage systémique s’il en est d’une machine médiatique lavant plus blanc que blanc ? Ou simple expression d’un hiatus sociétal entre des classes sociales moins diplômées que d’autres ? La réponse se situe probablement au centre de ces deux questionnements, explique Laura Calabrese : « Si l’on doit interviewer des médecins et que la plupart des médecins sont des hommes blancs, bien évidemment il va y avoir un biais. Ce n’est pas uniquement la responsabilité des médias, mais c’est la représentation sociale de ces minorités dans certains métiers, par exemple. De l’autre côté, les journalistes professionnels essayent eux-mêmes de déconstruire leurs propres clichés, parfois ils y parviennent… et parfois non, parce qu’ils appartiennent à la société majoritaire et parce qu’ils n’ont pas été sensibilisés à cela. »
Former les gens de la télé
Des formations se mettent toutefois en place et sont proposées aux journalistes. Selon Sabri Derinöz, doctorant à l’ULB qui prépare actuellement une thèse sur la diversité dans les médias francophones belges : « La sensibilisation, une méthode parmi d’autres, s’organise à la RTBF. Toute seule, elle n’est sûrement pas suffisante, car l’élément clé reste la réflexion sur le côté systémique. La problématique est certainement structurelle, d’autant plus sur les questions “objectives” et “rationnelles” : qu’est-ce qu’un bon journaliste ? qu’est-ce qu’une bonne voix ? La notion de professionnalisme du journalisme est déterminée par des critères subjectifs sociétaux ou culturels. Si on a un petit groupe, une caste qui fonctionne d’une certaine manière et qui a toujours marché comme ça, elle va considérer que c’est la bonne manière d’agir. Elle va donc accepter autrui uniquement sur base du même agissement. Cela aurait du sens s’il s’agissait véritablement de critères objectifs et rationnels, mais souvent il est plus question de reproduction sociale. »
À défaut d’attendre que la télévision laisse plus de place dans leurs équipes rédactionnelles aux personnes de couleur, certaines parmi ces dernières décident de créer leur média afin d’assurer elles-mêmes leur représentation. Avec, toutefois, un risque à long terme : celui de créer des niches médiatiques au sein de médias polarisés. Comme se demande Sabri Derinöz : « Si chacun est séparé dans cet espace médiatique, va-t-on encore s’entendre ? »
1 « Volume 1 : Baromètre des programmes » et « Volume 2 : Communication commerciale », mis en ligne sur https ://barometre.diversite.be, le 24 avril 2018.
2 « Diminution de la présence des personnes perçues comme issues de la diversité dans les programmes TV », mis en ligne sur https ://barometre.diversité.be, le 24 avril 2018.