Parmi la panoplie de mesures qui pourraient être adoptées pour permettre un déconfinement structuré et ciblé, dans un premier temps, la surveillance digitale est évoquée. Alors qu’en mars dernier, l’Europe se hérissait rien qu’à cette éventualité, un mois plus tard, l’option de ce « solutionnisme » technologique n’était déjà plus taboue. Appliquée avec un certain succès à Taïwan et en Corée du Sud, avec d’autres mesures adoptées dès le début de l’épidémie (tests à grande échelle, quarantaine stricte des malades, port de masques) pour endiguer le virus qui a plongé l’humanité dans une décroissance forcée, la surveillance de la population – et plus spécifiquement celle, via leurs smartphones, des déplacements des personnes infectées par le Covid-19 – hisserait ces deux pays au palmarès des meilleurs gestionnaires de cette crise sanitaire.
Si l’utilisation des objets connectés pour nous pister ne fait pas partie des valeurs européennes, l’on peut s’étonner que la première grosse crise venue fasse vaciller les balises de protection de nos droits fondamentaux aussi facilement. Dès le mois de mars, le principal opérateur GSM du pays avait déjà proposé de divulguer nos précieuses données afin de vérifier que notre sweet home constituait bien notre unique horizon. Mais de là à cartographier la population sur base de son état de santé, c’est clairement une première. Outre la question éthique ici posée, nos gouvernements auront également la lourde responsabilité du choix des partenaires avec lesquels ils mettront en œuvre le traçage électronique. Cela n’étonnera personne, Google a, par exemple, offert ses services de pointe dans un domaine où l’entreprise a déjà montré sa dextérité. La surveillance électronique et l’aspiration de données sont pratiquées lors des échanges de mails, dans le cadre de notre présence sur des réseaux sociaux comme Facebook, en accédant à nos conversations au travers des micros enfouis dans nos appareils photo, sans compter les précieuses informations multiples que nous offrons volontairement au géant américain lorsque nous cochons les petites cases qui nous ouvrent l’accès aux applications gratuites que nous employons massivement sur nos téléphones et ordinateurs.
Le traçage pour d’impérieuses raisons sanitaires ne constituerait finalement que la suite logique de pratiques déjà largement usitées. Mais dans ce contexte, l’État a le devoir, d’une part, de s’assurer de l’utilisation qui sera faite de nos données et, d’autre part, d’en définir un cadre strict respectant l’anonymat et assorti d’une fermeture des vannes une fois la crise endiguée.
Car à l’instar des lois sécuritaires adoptées après les attentats terroristes, tout en mettant régulièrement à mal la balance du respect des libertés fondamentales, il ne faudrait pas que ce nouvel état d’exception devienne la norme. Éthique et transparence doivent s’imposer dans les logiques décisionnelles qui vont affecter l’ensemble de la population.