En offrant une place d’honneur aux femmes dans un univers à domination masculine, le Festival La Belle Hip Hop casse les codes tout en usant de la puissance de protestation d’un mouvement urbain parfois trash, souvent poétique. Fatima Elajmi, directrice du festival, met les rappeuses, graffeuses et breakeuses sur le devant de la scène.
La Belle Hip Hop est née un 8 mars. Une date qui n’a pas été choisie au hasard ?
Nous voulions célébrer à notre manière la Journée internationale des femmes en mettant en place un événement avec une programmation hip-hop 100 % féminine. Un jour n’aurait pas suffi, donc avec ce chiffre huit symbolique, le festival dure huit jours et jette des ponts entre des artistes nationales et internationales en provenance de huit pays différents. On souhaite aussi depuis le début montrer que de nombreuses femmes à travers le monde font partie de cette culture hip-hop qui s’exprime à travers elle malgré les stéréotypes. Car cette culture est en effet encore mal perçue et vue comme un univers très masculin. Malgré les étiquettes, elle regorge de talents féminins dans toutes les disciplines du mouvement : le rap, le graff, le DJing et la danse hip-hop.
Le « rap sale » est connu pour ses mots crus, voire ses insultes sexistes. Le mot bitch apparaît dans d’innombrables morceaux, même écrits par des femmes, comme le titre She is a Bitch de Missy Elliott. Considérez-vous que cela fait partie des codes ?
On peut considérer que cela fait partie des codes. Pas mal d’artistes américaines utilisent ce mot, notamment. Cela devient leur langage, elles se l’approprient, sans pour autant que cela soit pris au premier degré. Il y a déjà eu pas mal de débats par rapport au discours que l’on peut qualifier d’irrespectueux, mais dans l’univers du hip-hop, il est à prendre au second degré, il fait partie du jeu de rôle des rappeurs et rappeuses.
Dans le hip-hop, en paroles ou dans les clips, la femme est souvent représentée comme vénale et superficielle. Comment pensez-vous pouvoir casser ce stéréotype ?
Dans le cadre de La Belle Hip Hop, notre brique à l’édifice, c’est d’inviter des artistes engagées, des femmes militantes dans leur pays respectif et qui ont des messages importants à faire passer. Mais attention, le hip-hop est loin d’être le seul milieu qui véhicule des stéréotypes sexistes. Il ne faut pas oublier que cette culture est aussi un miroir de la société, les femmes y sont sous-représentées comme ailleurs. Et nous avons envie, avec le festival, de montrer qu’elles ont du talent.
Ces artistes, justement, qui sont-elles et quels sont leurs combats ?
Parmi les artistes internationales, il y a notamment la rappeuse canadienne MCM en provenance du Québec, qui est très active et militante pour les droits des femmes, et la rappeuse américaine d’origine syrienne Mona Haydar, qui porte le voile et qui est très investie dans la lutte contre les discriminations, le suprémacisme blanc, la promotion de la paix et du vivre ensemble. Il y a aussi la Sénégalaise Moonaya, qui dénonce les maux de la société africaine, et La Bruja, new-yorkaise d’origine portoricaine, pionnière du spoken word et très active dans des associations de lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Parmi les Belges, il y a les « deux meufs de la pop urbaine » Mat(hilde) Mignoty et Yas(mine) Chehaïma, alias Matyas, et l’Anversoise Miss Angel qui est vraiment en train de prendre sa place dans le milieu du rap. Chacune d’entre elles a son univers, sa plus-value.
Un festival qui se pérennise dans le paysage culturel et urbain bruxellois. cc Linda De Volder
La scène hip-hop bruxelloise est en pleine émulation ces dernières années. Souhaitez-vous montrer aux jeunes filles qu’elles peuvent s’exprimer dans ce milieu aussi ?
Le milieu du hip-hop à Bruxelles et en Belgique est un monde bien fermé. On souhaite que cela puisse aider les jeunes filles à avoir plus confiance en elles. Cette culture est un bon vecteur puisqu’elle est finalement la plus populaire auprès des jeunes générations.
Au-delà des concerts et des battles, avec les ateliers organisés pendant le festival, souhaitez-vous donner voix à celles et ceux qui vivent une certaine forme d’enfermement et que l’on n’entend habituellement pas comme les enfants malades, les femmes en prison, les personnes âgées, les femmes victimes de violences et les réfugiées ?
Avec les ateliers de danse, de graffiti et d’écriture, on souhaite apporter la culture là où elle n’a pas l’habitude de s’inviter. Les artistes iront à la rencontre des femmes de la prison de Berkendael, à l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola et à la maison des repos et de soins Acacias à Molenbeek pour un atelier intergénérationnel avec une maison de jeunes. Quand on organise des ateliers « classiques », on touche toujours le même genre de public, comme les écoles de danse. Ici, pas de laissés-pour-compte !
La Belle Hip Hop brise les murs. Les frontières aussi ?
Le Festival souhaite aussi permettre aux artistes de faire connaissance, de se lancer dans des collaborations, d’échanger leur expérience, de se produire sur les scènes d’autres pays. Le talent féminin belge est bien là et on entend le montrer ! À la suite d’une collaboration entamée l’année dernière et du pont jeté entre la Belgique et la Finlande, le festival se terminera cette année avec des ateliers de danse au cœur d’Helsinki.