Même si ces dernières années, la mobilité est devenue l’un des principaux défis auxquels les villes sont confrontées, la précarité mobile continue de créer des situations qui renforcent l’exclusion. Les réponses à cet enjeu restent complexes, notamment à Bruxelles où plus de trois millions de déplacements s’effectuent chaque jour.
Si le droit à la mobilité n’existe pas en tant que tel, on en trouve des traces résiduelles ici et là. Notamment dans un texte de 1991 lorsque la STIB a conclu son premier contrat de gestion avec le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour la première fois en Belgique, une entreprise publique et son pouvoir de tutelle signent un contrat précisant les droits et devoirs de chacun pour assurer la mobilité d’une région. « C’est très novateur », admet Olivier Fourneau, chargé de mission Mobilité d’Inter-Environnement Bruxelles. « Mais s’il y a une volonté de principe, il y a surtout un principe de réalité, celui de l’endettement de la société de transports. En 1990, lors de la régionalisation, Bruxelles est très pauvre. Elle se voit attribuer des compétences avec une société qui est très loin d’engranger des bénéfices : son endettement correspond à 20 % de celui de la région », rappelle-t-il. De ces deux principes contradictoires, la STIB va recevoir une large autonomie dans la fixation du prix des tickets et abonnements. Alors que l’augmentation des tarifs en Flandre et en Wallonie ne peut dépasser l’inflation, à Bruxelles, l’évolution globale peut théoriquement atteindre l’inflation majorée de 2 %. Même si, en pratique, un accord a été établi sur une hypothèse de croissance moyenne annuelle des tarifs de 1 % au-dessus de l’inflation. Cette politique tarifaire a incontestablement porté ses fruits, puisqu’en 17 ans la STIB a réduit sa dette de 75 %. Ces résultats indéniables n’ont été rendus possibles que par une plus grande contribution financière de la part des usagers.
La métrovision, facteur d’exclusion
À côté du prix, l’autre critique, plus fondamentale, concerne la conception du réseau de la STIB. Depuis 2008, la société de transports a restructuré son réseau sur le principe de la « métrovision » avec des lignes fortes qui vont du centre-ville aux périphéries et des lignes faibles qui rabattent les voyageurs vers les lignes fortes, vers le métro. Conséquence : des zones moins desservies que d’autres – 30 % de la population en pâtit – avec un nombre invraisemblable de correspondances. Alors que le trajet moyen effectué à Bruxelles est de 4,5 km, l’attente est disproportionnée par rapport au temps de parcours et parfois supérieure à celui-ci.
« Si vous mettez en place un système de métrovision, il faut que tous les citoyens puissent arriver de leur habitat au centre-ville en 45 minutes maximum. Mais cela pose problème, parce que la ville n’est pas qu’une relation entre son centre et sa périphérie, si vous habitez à Uccle et que vous souhaitez aller à Anderlecht, vous n’avez aucune liaison et il vous faudra au moins une heure en transport », reproche Olivier Fourneau.
« Et cela ne risque pas de s’améliorer, poursuit-il. Tous les budgets actuels sont consacrés à renforcer la fréquence des lignes qui existent déjà. Cette inégalité géographique est conceptualisée par les pouvoirs publics puisqu’ils envisagent de renforcer ces axes de métro qui, outre un coût élevé, empêchent de penser un système de transport radioconcentrique qui est un vrai besoin à Bruxelles, pour relier toutes les communes entre elles. »
L’autre problème concerne l’accès aux personnes à mobilité réduite. « Actuellement, il n’y a pas de plan pour rendre accessibles toutes les stations à ce public parce que cela coûte très cher, ce qui exclut près d’un tiers de la population. Par exemple, à la station de la Bourse, il a fallu attendre deux ans et demi juste pour mettre en place deux ascenseurs », continue Olivier Fourneau.
SNCB, une clé de déperdition
Face à cette conception, une des solutions pourrait être le train. Mais là aussi, Bruxelles, malgré la présence de trente gares sur son territoire, souffre d’un manque d’ambition. Outre les problèmes budgétaires, l’enveloppe bruxelloise doit être négociée en plus de la classique clé de répartition Flandre-Wallonie : le vrai problème réside dans la manière dont la SNCB envisage Bruxelles. « Elle considère uniquement la capitale comme une destination, alors que la SNCB pourrait vraiment envisager un vrai service de transport public à destination des Bruxellois. Elle refuse d’envisager Bruxelles comme une région où le train peut servir de trafic de passagers », relève Olivier Fourneau. Il en veut pour preuve le tracé de la future ligne de métro entre Albert et Bordet, qui va coûter près de deux milliards d’euros, alors qu’elle correspond peu ou prou à la ligne ferroviaire Uccle-Calevoet-Schaerbeek. « Elle pourrait tout à fait servir de ligne omnibus pour les Bruxellois, et la SNCB pourrait compléter très utilement le réseau de métro en augmentant les fréquences desservant ces gares (Uccle-Calevoet, Haren, Boitsfort, Jette…), d’autant que les gains de temps procurés par le train sont, par endroit, tellement importants qu’ils déterminent des niveaux d’accessibilité comparables à ceux procurés par le métro. »
Vers une mobilité de base ?
Si le droit à la mobilité s’apparente à un principe plus qu’à une réalité, des initiatives existent, comme en Flandre avec la mise en place de la Basismobiliteit qui crée le droit à une offre de transport public minimale pour tous. Cette mission repose uniquement sur l’opérateur De Lijn qui organise l’offre de transport en commun. « C’est un décret assez novateur, en envisageant la mobilité comme le service auquel le citoyen a le droit de prétendre. Il décrit la distance minimale que tout citoyen, peu importe sa commune, doit avoir entre son habitation et un arrêt de transport en commun. C’est un principe qui pourrait être élargi à toutes les régions, en légiférant sur un service minimal quel que soit le lieu de son habitation », analyse Olivier Fourneau.
S’il y a un accès inégalitaire à la ville, il concerne, aux yeux du chargé de mission, moins l’accès aux transports publics que la mise en place d’une zone de basses émissions dans la capitale. « Elle crée une vraie inégalité des classes sociales parce qu’elle se concentre sur les caractéristiques techniques des véhicules et non sur leur usage. Une voiture ancienne roulant peu sera toujours moins polluante qu’une voiture neuve roulant beaucoup », constate-t-il. À l’en croire, la mesure du gouvernement bruxellois est d’ailleurs tout à fait inopérante : outre le fait qu’elle complexifie l’accès à la ville des personnes plus défavorisées, elle ne concernait, pour l’année 2018, que 0,5 % du parc automobile de la région. Et pousserait surtout à acheter des véhicules neufs.