Espace de libertés | Septembre 2021 (n° 501)

Élections allemandes  : tous les voyants au vert


International

Tandis que les thèmes de la sécurité et de l’immigration occupent l’espace politique dans d’autres campagnes électorales européennes, les Allemands ne parlent que de climat pour l’après-Merkel. Les écologistes, qui devraient arrriver en deuxième position, mènent la danse.


En Allemagne, il y a du changement dans l’air. Après seize ans de règne ininterrompu, Angela Merkel va quitter le pouvoir à l’issue des élections de l’automne, et les Allemands aspirent plus que jamais à une alternance politique. Ils ne veulent plus de la « grande coalition », une alliance à bout de souffle entre l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et le Parti social-démocrate (SPD) qui a dirigé le pays pendant douze ans (trois gouvernements). C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un chef de gouvernement – en l’occurrence une cheffe – ne se représente pas à sa propre succession en étant, de surcroît, populaire. Angela Merkel prépare ses adieux en forme de victoire politique, contrairement à tous ses prédécesseurs qui se sont fait chasser par les urnes ou par le Parlement.

Elle va laisser un grand vide. Tous les sondages le confirment  : une majorité d’Allemands aurait souhaité qu’elle se représente pour un cinquième mandat. « Aucun parti n’a été en mesure d’aligner un candidat ou une candidate aussi populaire et avec autant de professionnalisme que Merkel », résume Gero Neugebauer, politologue à l’Université libre de Berlin (FU).

Auf Wiedersehen Angela

Tandis que les thèmes de la sécurité et de l’immigration occupent l’espace dans d’autres campagnes électorales d’Europe, les prétendants à la succession de Merkel ne parlent que de transition écologique. Les innondations dramatiques de la mi-juillet, qui ont fait près de 200 morts en Allemagne, ont renforcé le sentiment d’urgence dans la population. Si l’on en croit les sondages, plus de 20 % des électeurs sont prêts à voter pour les écologistes, soit deux fois plus qu’en 2017.

Les Verts talonnent toujours le CDU et devraient arriver en deuxième position du scrutin le 26 septembre. Quelle que soit l’issue du scrutin, les Grünen devraient participer au prochain gouvernement. Sans eux, aucune coalition n’est actuellement imaginable, si bien que les écologistes et leur candidate, la jeune Annalena Baerbock (40 ans), mènent la danse. Tous les partis politiques, à part l’extrême droite, sont prêts à s’unir avec elle.

À droite, le Parti chrétien-démocrate (CDU) rêve déjà d’une alliance gouvernementale avec eux comme partenaire junior. Pour cela, le candidat de la CDU à la chancellerie, Armin Laschet, tente de se profiler en grand défenseur de l’environnement… alors qu’il a été pendant des années un ardent partisan du charbon, très impliqué dans la région qu’il préside (Rhénanie-du-Nord–Westphalie). « Les conservateurs n’ont pas résolu les crises écologiques. Ils en sont l’origine », accuse même Luisa Neubauer, figure de proue des grèves scolaires pour le climat (Fridays for Future). La stratégie d’Armin Laschet est de convaincre les Allemands de lui confier la chancellerie avec les écologistes comme partenaire junior pour… freiner leur volonté de réformes. Mais le pari sera difficile pour un candidat très impopulaire et qui souffre d’une image rétrograde.

Alors que la droite était donnée largement gagnante au début de l’année grâce à sa bonne gestion de la pandémie, elle s’est effondrée dans les sondages en raison d’une série de scandales dans ses rangs au Bundestag, l’assemblée fédérale. Les conservateurs ont perdu près de dix points en quelques semaines à cause de l’« affaire des masques » (des députés ont profité de la pandémie pour s’enrichir avec des contrats publics), passant sous les 30  %, voire dernière les écologistes, dans les intentions de vote.

Le climat sur toutes les lèvres

« La CDU est complètement dépassée par le grand thème de la campagne, la transition écologique, qu’elle n’a pas su anticiper. Il lui manque une composante verte », estime Gero Neugebauer. « Quant aux conservateurs, ils se sont déjà mordu les doigts en copiant l’extrême droite dans les scrutins précédents. Cette fois, ils risquent encore de répéter l’erreur en imitant les écologistes. Or, les électeurs préfèrent toujours l’original », analyse Uwe Jun, politologue à l’Université de Trèves.

Alors que le pays compte désormais près de deux millions de réfugiés, le droit d’asile n’a pas été un sujet de campagne. Le parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne), entré à grand fracas en 2017 au Bundestag, n’est pas parvenu à mobiliser ses électeurs. Les divisions internes entre le courant libéral d’origine et l’aile identitaire, proche des néonazis, devraient faire tomber le parti sous la barre des 10  %. « Le nombre de réfugiés arrivant en Allemagne s’est beaucoup réduit. L’intégration est en partie réussie pour tous ceux qui sont arrivés depuis 2015. Le sujet ne joue aucun rôle dans la campagne », explique Gero Neugebauer.

Quant aux sociaux-démocrates, ils n’échappent pas au déclin que con­naissent tous les mouvements de gauche en Europe. Le parti de Willy Brandt et de Helmut Schmidt atteignait presque les 40  % aux élections fédérales il y a encore vingt ans. Il peine à dépasser les 16  % d’intentions de vote dans les sondages. En vingt ans, le SPD a divisé ses scores électoraux par deux, voire par quatre à l’est du pays. Dans certaines régions, il est même devenu tellement insignifiant qu’il est classé « divers gauche » à l’annonce des résultats électoraux. Pour redresser la barre, leur candidat, Olaf Scholz, tente lui aussi de mobiliser sur la protection du climat qu’il a définie comme une « priorité absolue ». Mais l’écologie n’a jamais été un thème de prédilection pour ce parti proche des mineurs. « Les sociaux-démocrates sont incapables de tenir tête aux Verts sur le sujet », tranche Uwe Jun.

Les déçus de la gauche traditionnelle sont rassemblés depuis vingt ans dans le mouvement radical de gauche (Die Linke), très stable, qui aspire à entrer lui aussi dans un gouvernement dirigé par les écologistes. Le scénario d’un « front de gauche » est tout à fait imaginable en Allemagne avec une coalition entre écologistes, SPD et Die Linke, une alliance sans précédent au fédéral.

Une jeunesse verdoyante

Le succès de jeunes activistes environnementaux devant le tribunal constitutionnel, le 29 avril dernier, a été un tournant qui a complètement « verdi » la campagne. En donnant raison aux jeunes qui accusaient le gouvernement de faire une politique au détriment des générations futures, les juges de Karlsruhe ont complètement discrédité la politique climatique des partis au pouvoir. Le gouvernement a été obligé de corriger la loi Climat de 2019 seulement quelques jours après le jugement pour faire montre de bonne volonté. Le nouveau texte prévoit désormais une réduction des émissions de CO2 de 65  % d’ici 2030 (par rapport au niveau de 1990) contre les 55  % prévus auparavant. L’objectif de neutralité carbone a été avancé de cinq ans à 2045.

Ce jugement a été un véritable camouflet pour de nombreux responsables politiques de droite et de gauche qui s’étaient moqués des revendications de la « génération Thunberg ». Début 2020, le ministre conservateur de l’Économie avait fait la leçon aux élèves comme un professeur. Peter Altmaier (CDU) leur avait conseillé de manifester plutôt pendant leurs heures de repos pour ne pas « manquer les cours de math ».

Le président du parti libéral (FDP), Christian Lindner, est allé encore plus loin dans les attaques en estimant que les jeunes devaient plutôt rester sur les bancs de l’école pour apprendre les « relations de cause à effet entre la science et l’économie » et « laisser la protection de l’environnement aux pros ». Or, ce sont ces « écoliers » qui ont obtenu gain de cause devant le tribunal constitutionnel et obligé le gouvernement à corriger sa politique.

Quel que soit le résultat des élections, cette campagne électorale aura des répercussions sur l’Allemagne de l’après-Merkel. Le pays sera beaucoup plus vert  : on s’attend à une augmentation substantielle de la taxe carbone, à une réforme de la compagnie ferroviaire (Deutsche Bahn), à une fermeture accélérée des centrales à charbon, à une vitesse limitée sur les autoroutes (l’Allemagne est le dernier pays industriel au monde sans limitation), à un programme d’investissement pour les éoliennes et les pistes cyclables, à la disparition accélérée du moteur à combustion, etc. « La politique environnementale va être bouleversée », confirme le Uwe Jun. Une nouvelle ère s’ouvrira en Allemagne dès ce 26 septembre.