Espace de libertés | Septembre 2021 (n° 501)

Malgré leurs antécédents psychiatriques, ils et elles n’ont pas envie qu’on les réduise à cela. D’ailleurs, qu’est-ce que la folie ? Qui est excentrique, hystérique, qui est fou, qui ne l’est pas ? En ce mois de septembre, une troupe de comédien.ne.s amateur.e.s prend le chemin de l’école pour présenter la pièce « Fou(s)-toi de moi ! » Un impératif pour casser les stéréotypes qui tournent autour de la santé mentale.


« Le monde extérieur nous juge un peu de tout, tout le temps de façon différente, mais je trouve que même si je suis en dessous de tout, un fou sera toujours un génie », proclame Lucie pendant une répétition. « Comme dit dans la pièce », poursuit son partenaire, « nous sommes des personnes ! On n’est pas fous, on a un problème de santé mentale, c’est tout. C’est l’extérieur qui est fou ! » Tous deux sont des « Codiens ». Ces adultes, qui ont un problème de santé mentale depuis une plus ou moins longue période, fréquentent le CODE (Centre original de l’expression) du centre psycho-socio-thérapeutique de jour de l’Équipe à Anderlecht. Parmi les activités organisées par le Centre, l’atelier théâtre remporte son petit succès. « Cela m’apaise vraiment ! » s’exclame Jean-Claude Boudart. « Cela m’apporte beaucoup de choses de jouer avec les copains. Avant j’étais introverti. Maintenant, je n’ai plus peur de me mettre en avant et de parler à un public. Mes médecins me l’ont dit  : “Continuez, c’est votre médicament !” »

De «Codiens» à comédiens

Après Être fou, c’est dingue, non? en 2019, Fou(s)-toi de moi! « donne la parole à des personnes qui rencontrent des soucis de santé mentale et véhicule cette parole auprès d’un public qui ne connaît pas ou qui a des a priori sur la santé mentale ». C’était la volonté de Xavier Dumont, comédien de formation et qui travaille dans le milieu psychiatrique en tant qu’animateur d’ateliers théâtre depuis une trentaine d’années. Pour monter ce spectacle, il est parti d’œuvres du répertoire théâtral, de personnages historiques et de témoignages de patient.e.s. qu’il a récoltés.

article-nicolas-5-copie

Dans « Fou(s)-toi de moi ! », mis en scène par Xavier Dumont, on s’interroge sur la santé mentale. À partir de quand est-on réellement fou ? © Nicolas Franchomme

En épluchant les témoignages et les textes, le metteur en scène n’avait qu’une seule question en tête  : qu’est-ce que la folie et comment s’incarne-t-elle ? « Je me suis beaucoup attaché à Adèle Hugo, la fille de Victor Hugo, qui a passé quarante ans en asile psychiatrique. Était-elle folle pour autant ? Elle a eu des problèmes de santé mentale, oui, mais cela justifiait-il qu’elle soit enfermée presque toute sa vie ? » Son personnage est récurrent dans le spectacle et d’autres l’accompagnent, car l’histoire regorge de ces borderline – comme on les appelle souvent erronément – tels que Winston Churchill, Vincent Van Gogh ou Niki de Saint Phalle, qui ont traversé des moments que l’on a qualifiés de « folie ». En tant que spectateur, c’est aux Codiens et aux Codiennes que l’on s’attache très vite.

Quant à moi, ça ne va pas très bien

« J’ai fait une dépression nerveuse, et mon mari me dit tout le temps que je suis folle », témoigne Kathy Van Loock dans les coulisses. « Je voudrais lui montrer que la dépression, c’est autre chose. » Selon le contexte, les époques et les milieux, la folie peut désigner « la perte de la raison ou du sens commun, le contraire de la sagesse, la violation de normes sociales, une posture marginale, déviante ou anticonformiste, une impulsion soudaine, une forme d’idiotie, une passion, une lubie, une obsession ou une dépense financière immodérée. Elle peut être passagère ou chronique, latente ou foudroyante, héréditaire ou provoquée. Elle peut être l’expression d’une démesure comme “la folie des grandeurs” ou un simple penchant, comme “la folie douce”. Elle peut être “guerrière” ou qualifier un sentiment aussi fort que l’amour. Elle peut aussi bien faire référence à une souffrance extrême qu’à un état spirituel particulier, provenir d’une situation d’exclusion ou être vécue collectivement »1. La folie est polysémique et polymorphe. Au-delà des définitions pour le grand public, des manifestations et des symptômes décrits dans le fameux DSM-52, il y a avant tout des personnes. Et c’est exactement ce que les Codiens et les Codiennes veulent montrer. Fou(s)-toi de moi! ? En tout cas, eux ne se foutent pas de nous. Pour contrer l’ignorance et la bêtise parfois, ils jouent la carte de l’authenticité. « Au travers de ce spectacle, on veut faire comprendre que l’on a des qualités humaines, que l’on est sensibles, que l’on peut être utiles à la société », se défend Sebastian Brodzic. « J’ai eu une crise de folie assez grave il y a quelques années. Ce que je trouve le plus terrible dans la folie, c’est de perdre le contrôle de soi. » Et le Codien d’ajouter  : « Les pièces que l’on joue sur la folie ne seront jamais une victoire sur la folie elle-même, mais cela aidera à faire comprendre à la société qu’on existe. »

Le théâtre, un art brut

Les recherches préalables ont également été l’occasion de se rendre compte que le répertoire théâtral est riche en matière de folie. Xavier Dumont a été particulièrement touché par une œuvre de la metteuse en scène française Catherine Anne dans laquelle un parallèle est fait entre son personnage principal et la vie de Vincent Van Gogh. Une lecture en a amené une autre et, de ces fragments de textes, d’histoires fictives ou vécues, de ces chansons créées par celles et ceux qui fréquentent l’atelier chant, le spectacle est né, unique en son genre.

Une fois la sélection proposée, le puzzle construit, les Codiens et Codiennes ont été rejoints par quelques extérieur.e.s. « J’ai répondu à une petite annonce, on cherchait des comédiens pour un projet de théâtre » raconte Sensi Raya, la partenaire de Jean-Claude Boudart sur scène. « Le thème de la maladie mentale ne m’était pas familier du tout. J’étais un peu sur la réserve au début, par rapport à mon humour, et puis, très vite, j’ai aimé le décalage des autres comédiens. » Et comme dans bien des domaines et des situations, le rire s’invite pour dédramatiser, casser les stéréotypes et décoller les étiquettes. « Tu dis que je suis folle ? Qui dit que toi, tu n’es pas nymphomane ? Toi, éjaculateur précoce ? Toi, frigide ? Et qui dit que le metteur en scène n’est pas obsédé sexuel ? »3 demande Sensi Raya au public, non sans malice. L’alchimie théâtrale opère aussi. En cet après-midi de première au Théâtre de la Vie, après les applaudissements, Codiens et Codiennes tombent dans les bras les uns des autres. Ils ont travaillé dur, répété inlassablement  ; le projet arrive à son aboutissement. Si la tension redescend, l’émotion perdure. Un petit grain de folie aussi.


1 Définition issue de Wikipédia.
2 Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux destiné aux professionnels de la santé mentale.
3 Les blagues seront adaptées au public scolaire, cela s’entend !