Espace de libertés | Septembre 2021 (n° 501)

Coup de pholie

Et si, le temps d’un « coup de pholie », l’épidémiologie, qui s’est emparée de nos médias, cédait la place à l’étymologie ? Dans la Grèce antique, les épidémies consistaient en des sacrifices offerts aux divinités qui arrivaient dans le pays – le dème –, lorsque leur statue était portée en procession dans un sanctuaire pour assister à une fête. De même, on appelait apodémies les sacrifices faits au moment de leur départ. Le terme épidèmia avait un sens plus large  : il désignait « l’arrivée dans un pays », que ce soit d’un dieu, d’une personne, de la pluie, de la guerre ou de la maladie. Inutile de préciser que seule est restée cette dernière acception. Oui, mais voilà  : il arrive que, parvenu à destination, on s’installe, on s’implante, pour ne plus repartir. D’où le verbe épidèméô « résider dans le pays », « être à demeure ». Dès lors, épidèmikos avait le sens de « sédentaire »  : est épidémique celui qui reste chez lui.

Si l’on passe du grec au latin, cela donne « être confiné », c’est-à-dire enfermé dans sa chambre, où l’on respire un air qui, bientôt, devient lui aussi confiné, faute d’être renouvelé. Et, comme le disait Pascal, tout le malheur de l’homme réside dans son incapacité à rester dans sa chambre. Le confinement, source de nos malheurs (tout relatifs, reconnaissons-le), tient à l’interdiction pour un malade (réel ou potentiel, on n’est jamais assez prudent) de quitter sa chambre, qui se retrouve donc en quarantaine. Le mot se compose de finis « la limite », au pluriel fines « la frontière ». Car confiner, c’est aussi toucher aux confins, aux frontières du pays. C’est-à-dire se trouver tout proche de son voisin, situation pour le moins vexante lorsqu’on ne peut plus franchir la frontière ni sortir de chez soi ou de son pays. Être épidémique, c’est ne plus être autorisé à fréquenter son adfinis, son « voisin », celui avec qui on est censé partager une adfinitas, une « affinité » faite de bon voisinage, voire de parenté. Exactement comme deux langues proches parentes sont dites affines.

Ces quelques considérations étymologiques intemporelles nous rappellent cruellement que nous rêvons tous d’une apodémie illimitée. C’est quand qu’on (re)part, et on va où pour échapper à la morosité quotidienne et « covidienne » ?