Espace de libertés | Septembre 2021 (n° 501)

Dossier

Présentée comme la recette infaillible pour éduquer son enfant et instaurer la paix familiale, la parentalité positive fait aussi des déçus. Méthode « bisounours » et culpabilisante pour certains, seul modèle permettant à l’enfant de s’épanouir pour d’autres… Et s’il y avait comme un malentendu ?


Ils pensaient avoir trouvé les clés de la parentalité sans faux pas, mais le miracle ne s’est pas produit. Aujourd’hui, nombre de ces parents qui avaient placé de grandes espérances dans cette approche éducationnelle rassurante témoignent de leur désenchantement.

Du positif, jusqu’à l’overdose?

« Et puis, un jour, ça vire à l’obsession. Vous mangez parentalité positive, vous dormez éducation bienveillante, vous chiez communication non violente », balance une blogueuse. « La parentalité positive est en train de devenir tendance, il y a de plus en plus de marketing autour de cette notion », relève une autre. « L’éducation bienveillante s’autoproclame meilleur système éducatif possible. Quand je vois que des sites dédiés s’appellent Les Super-parents ou Cool parents make happy kids, je trouve cela tellement orgueilleux ! », ironise une troisième1. Pourquoi ont-ils baissé les bras ? Dans de nombreux cas, l’échec ressenti découlerait d’un sérieux malentendu à propos du concept même d’éducation positive.

Cette approche axée sur le bien-être de l’enfant s’est développée dans le sillage de la communication non violente (CNV) apparue dans les années 1970, mais ne correspond à aucune définition officielle. Dans une vidéo vantant une « méthode de communication infaillible pour rétablir le dialogue et la compréhension avec vos enfants », Isabelle Filliozat, psychothérapeute et autrice d’une trentaine d’ouvrages à succès, définit cette démarche comme le fait d’être « complètement orienté vers le positif » et d’« éviter tout ce qui peut faire peur et faire honte », en opposition à une éducation traditionnelle qui voudrait « détruire nos mauvais penchants » et empêcher l’enfant de « dépasser ses limites ». Les règles à suivre pour devenir des parents « bienveillants » varient sensiblement d’un thérapeute à l’autre, mais les marqueurs restent les mêmes  : le renoncement aux cris, aux punitions, au chantage et à l’autorité. Et surtout  : quoi qu’il arrive, rester positif !

Une méthode binaire et simpliste?

Infaillible ? Un mot qui fait bondir Bruno Humbeeck, psychopédagogue spécialisé dans la prévention des violences familiales et chargé de recherche à l’Université de Mons. Il s’inquiète non seulement de la vision binaire que la méthode suggère (positif opposé à négatif, bienveillant à autoritaire, violent à non violent), mais aussi des dérives d’une approche exclusivement basée sur le positif et le « laisser croître » et des conséquences pour ces parents d’une potentielle désillusion. « Il y a toujours eu des limites au laisser croître. Or, ces bouquins vous donnent l’impression qu’il faut accueillir les émotions toutes puissantes de l’enfant n’importe où, n’importe quand. On arrive alors dans le champ de l’« émocratie », soit le recours à l’émotion pour que le monde se plie à nos pulsions. On vise la satisfaction de l’enfant et on confond la joie et l’épanouissement. Or, ce dernier suppose les crises et les colères. »

Bruno Humbeeck va plus loin encore dans sa critique. Il estime que l’éducation positive, bienveillante, qui ne repose sur aucune base scientifique, est dangereuse, car elle nie les émotions de l’adulte, que l’on rend par ailleurs terriblement responsable. « On distille des recettes simplissimes qui créent du désarroi chez les parents. On leur demande par exemple de transformer systématiquement la douche en jeu… Tous ces petits trucs et astuces peuvent marcher, mais coûtent une énergie incroyable. Les parents sont épuisés, notamment parce que l’enfant n’est pas naturellement altruiste, et en plus ça n’apporte rien à ceux qui ne sont pas en difficulté. »

Des balises pour une vie de famille plus sereine

Papa de deux garçons de 8 et 11 ans, Pascal Cleda s’est beaucoup investi dans la communication non violente après la rupture avec la mère de ses enfants. « J’étais un bon père dans ma vie d’avant. En tout cas lorsque je comparais avec la relation que j’avais avec mon propre père. Le bien-être de mes enfants m’importait, j’étais attentif, aimant…, mais les disputes, les énervements, les punitions faisaient partie du quotidien. Soudain, je me suis retrouvé seul avec deux petits mecs et je me suis dit que je voulais une autre qualité de communication, une autre relation. Cette approche plus positive semblait tomber à pic, même si, ayant vécu une enfance loin de ces concepts, je devais changer complètement de mentalité. »

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Après quelques mois de pratique, ce papa a constaté les bienfaits de cette manière d’éduquer, mais il en a aussi découvert les contraintes et les limites. Sans y renoncer, il a peu à peu pris du recul par rapport à « ces recettes toutes faites sorties des livres ». « Ça reste des enfants, et distiller ces concepts pour que cela devienne naturel pour eux prend du temps. Or, quand on est soi-même fatigué, tracassé, il est parfois difficile de dépasser ses propres frustrations et de ne pas les faire peser sur les enfants. Après une mauvaise journée, il m’arrivait d’oublier ces grands principes. Le fait d’être un papa solo a aussi été très difficile. Par moment je me sentais fort seul. »

Autonomie et responsabilité

Aujourd’hui, Pascal pratique une éducation positive qu’il cuisine « à sa sauce ». Il a arrêté de prendre ces petites phrases au pied de la lettre, mais continue de s’en inspirer. Elles ne représentent plus des commandements, mais des balises, des outils pour que sa vie de famille soit plus sereine. « J’ai appris à lâcher prise, sans que cela tombe dans le laxisme. À laisser plus d’autonomie aux garçons, en leur fixant un cadre dans lequel ils font leurs propres choix à condition d’en accepter les conséquences, en supprimant les punitions, espérant ainsi qu’ils prennent leur part de responsabilité sans crainte de représailles, qu’ils osent entreprendre, découvrir, se réaliser, en fin de compte. »

Mais tous les enfants sont-ils capables de faire preuve d’une telle autonomie et de supporter le poids des responsabilités ? « Le problème, quand on suit cette approche positive, c’est que l’enfant va avoir peur de décevoir en suivant d’autres émotions que celles exprimées ou attendues par ses parents. Il ne va pas oser dire qu’il a peur, qu’il est triste, avec pour résultat des crises de colère et des tensions. Il faut accepter les colères des enfants tout en essayant de ne pas se décomposer à chaque crise. » Plutôt que de parler d’éducation positive ou bienveillante, Bruno Humbeeck propose de placer l’authenticité, doublée de sérénité, au cœur de la relation.

« Trop de parents donnent une image policée. Mais, au fond d’eux-mêmes, le désarroi éducatif est aussi grand que chez les autres. Quand on se met en scène – une vie parfaite dans un monde parfait avec une pédagogie parfaite –, on est souvent déçu du résultat. Et ça peut mener au burnout. Les tensions qui naissent dans ces familles qui sont dans le paraître et qui sont confrontées à la réalité sont énormes. »

Émilie Lucas, assistante en psychologie, coach certifié et formatrice, confirme cette confusion entre laxisme et parentalité positive, qu’elle-même pratique et enseigne. « Les personnes qui viennent me voir pensent souvent qu’avec l’éducation positive il faut expliquer à l’enfant la moindre décision, tout dire, tout laisser faire, alors que l’idée, c’est justement de mettre un cadre entre le laxisme et l’autoritarisme. Il est important de rassurer les parents qui prennent chaque faux pas comme une pression supplémentaire et leur dire que ces théories ne sont pas faciles à mettre en pratique. Ça reste un idéal  : le danger, c’est justement d’appliquer le concept à la lettre. »

Impulsive de nature et ayant reçu une éducation radicalement différente de ce qu’elle a instauré avec ses enfants, Émilie Lucas confie qu’elle peine aussi à rester zen quand les « petites phrases » ne sont d’aucun secours. Et, comme tous les parents, il lui arrive de pousser une gueulante. La clé de la réussite, livre-t-elle, c’est de rester indulgent avec soi-même et « d’écouter le ressenti de l’enfant sans entrer dans une lutte de pouvoir. Se connecter à l’émotion de l’autre, ce qui vaut aussi pour les adultes, avant de vouloir corriger le comportement ».

Après cette période de tâtonnement, Pascal Cleda a lui aussi appris à être plus indulgent avec lui-même. Les mécanismes sont en place et le bilan est résolument positif. « Si je pensais avant que j’avais une bonne relation avec mes garçons, aujourd’hui elle est passée au niveau supérieur. Nous sommes plus proches que jamais, pas toujours d’accord, mais dans une dynamique bien différente. »


1 LesMontessouricettes.fr, GirlsMatter.com, Maman.lardons.cz, WeLearn.com.