Espace de libertés | Septembre 2021 (n° 501)

Plus d’ÉVRAS pour plus de bien-être


Dossier

Les projets d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS) offrent un cadre au sein duquel peuvent émerger les questionnements des jeunes. Dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an et demi, l’ÉVRAS semble un levier incontournable favorisant le bien-être tant individuel que collectif.


L’adolescence est une phase charnière de l’existence. Elle s’accompagne, au moment de la puberté, de changements corporels si rapides que la ou le jeune passe en quelques mois d’une morphologie d’enfant à un aspect d’adulte. La relation au corps en est profondément remaniée. Le moi de l’adolescent peut se sentir débordé par ces modifications qui lui échappent et sont incontrôlables. C’est une période de grande fragilité. Les personnes de l’entourage extérieur à la famille jouent un rôle très important dans le développement des jeunes. Tout ce qu’elles font peut favoriser l’essor et la confiance en soi, le courage de dépasser ses impuissances, ou au contraire l’abattement et la mésestime de soi. Il peut s’agir des pairs, des enseignant.e.s, des professeurs artistiques ou de sport, des éducateurs de la maison des jeunes. L’adolescent.e se construit ou se déconstruit dans son rapport à l’Autre, support identificatoire, tuteur de développement, figure maternelle ou paternelle hors de la famille.

Une vie relationnelle et affective bien malmenée

Voilà plus d’une année que notre société a été envahie par la pandémie de la Covid-19. « Envahie » est le mot. La lutte contre la propagation du virus a entraîné des mesures qui nous ont tous atteints dans notre vie. En ce qui concerne les jeunes, la scolarité en présentiel a été interrompue brutalement, avec tout ce qu’elle apporte en termes de rapports à des tiers extérieurs à la sphère familiale : sublimation par les apprentissages, figures adultes d’identification, relations amicales, découvertes des émois amoureux et sexuels, etc. Les milieux familiaux qui étaient maltraitants ou carents sont devenus les seuls endroits où se tenir. La violence, les tensions, les conflits se sont déployés pour certain.e.s de manière continue, sans la possibilité des espaces tampons salutaires qu’apportait auparavant le quotidien. La souffrance psychique a entraîné une recrudescence des passages à l’acte hétéro- ou auto-agressif, des dépressions, des fugues, des addictions, etc.

Travaillant dans une équipe mobile de santé mentale pour les adolescent.e.s, j’ai été témoin d’une détérioration grave des situations. Les lits de psychiatrie infanto-juvénile sont saturés, entraînant le paradoxe de listes d’attente pour des hospitalisations de crises. Et au-delà de ces cas extrêmes, l’isolement, l’absence de rituels collectifs, déjà rares en temps normal, pour marquer les passages (remise des diplômes, voyages scolaires…) et ce virtuel qui déshumanise et empêche les échanges informels en société ont fragilisé de trop nombreux jeunes et mis à mal leur joie de vivre.

Tout au long de l’année scolaire 2020-2021, l’école fondamentale, qui a pu maintenir l’enseignement en présentiel, a été relativement épargnée. Pourtant, les jeunes enfants ont eux aussi développé des angoisses liées à la séparation, à la mort, à l’insécurité, pouvant aller jusqu’aux phobies scolaires ou sociales. Les régressions sont inévitables, l’incertitude est permanente. Depuis que le virus a fait son apparition, toute activité est susceptible d’être annulée. Des classes sont fermées régulièrement, les parents n’entrent plus dans leur école. Parents qui souvent télétravaillent et dont l’activité professionnelle envahit la vie de famille. Les médias ne parlent, par ailleurs, plus que de la pandémie. L’anxiété se diffuse dans tous les coins et recoins du quotidien, envahi de personnes masquées, de gestes barrières, d’interdits.

Ensemble, avec et pour les jeunes

La vaccination offre à présent l’espoir possible d’un retour à une existence qui ne sera sans doute plus jamais la même. Nous sommes tous et toutes plus ou moins meurtri.e.s par cette crise sanitaire. Il s’agit à présent de retrouver, comme après un traumatisme, notre capacité de symboliser et de mettre du sens sur l’expérience vécue. C’est un préalable à l’apaisement interne propice aux apprentissages. L’urgence n’est pas de rattraper la matière, de l’évaluer. L’urgence est à la mise en place de temps collectifs, sécurisés, bienveillants, articulés sur les besoins des jeunes. Autant d’aspects que le dispositif des animations en éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle propose par essence. Cette ÉVRAS malmenée par la limitation des relations, par un discours qui met en avant la sécurité, les risques, la prévention, s’immisçant dans notre intimité, y plaçant l’ordre moral, la sanction, comme si la société surmoïque et toute-puissante nous regardait en permanence, nous empêchant de nous déplacer, de nous rencontrer, de nous embrasser, de nous caresser, de nous enlacer.

Les jeunes ont par ailleurs souvent été pointés du doigt comme ceux qui ne respectent pas les interdits liés à la crise sanitaire, ceux qui continuent à se rassembler et qui sont dès lors tenus en partie responsables de l’évolution de la pandémie. Pourtant, remettre en question les adultes et la société fait partie du mouvement de l’adolescence, lorsque le jeune commence à développer ses propres idées, prend conscience qu’il existe des points de vue différents sur le monde. La maladie physique a occulté toutes les détresses mentales. La transgression des gestes barrières et du confinement a pu pourtant permettre que certain.e.s maintiennent un équilibre psychique minimal.

L’ÉVRAS, plus que jamais essentielle

Il faut à présent pouvoir réinsuffler aux adultes de demain l’estime de soi et la confiance en soi, qui ont été tant mises à mal. Déconstruire les amalgames, panser les frustrations, penser cette surprotection massive qui a éteint tant d’élans vitaux. Les animateurs et animatrices ÉVRAS sont issu.e.s de structures telles que les centres de planning familial, les PMS, les AMO, les associations de jeunesse. Autant de lieux-ressources qui étaient souvent inaccessibles pendant la pandémie. Remettre l’ÉVRAS au centre du projet scolaire est essentiel, mais peut-être encore plus en ces temps troublés où le sexuel, l’intime, le relationnel et l’affectif ont été sévèrement attaqués. L’ÉVRAS offre la possibilité d’un cadre respectueux où la parole du jeune est entendue et écoutée. L’adulte n’est alors pas dans une posture de savoir ni dans une transmission verticale d’informations. Il ou elle part des besoins des jeunes et permet que différents points de vue coexistent. Sa posture ouverte, tolérante, idéalement fondée sur une solide formation et une pratique réflexive, favorise des moments d’échanges respectueux. La généralisation de l’ÉVRAS, par manque de moyens humains et financiers, n’est pas encore effective. Si nous sommes intimement persuadés que ces lieux sont structurellement essentiels, la conjoncture les rend vitaux pour nos jeunes qui ont besoin de reprendre possession de leur corps, de leur parole, de leurs envies. Il s’agit également d’intégrer progressivement un retour à la norme qui peut s’accompagner d’une ambivalence affective bien légitime. Ce sont des espaces où, loin d’être stigmatisés, craints, jugés, les jeunes ne subissent pas un discours issu de l’ordre moral, mais se construisent le leur, dans le respect des autres et de la diversité au sens large.

L’urgence est à présent de donner aux futurs citoyens une lueur d’espoir dans leur capacité à agir sur eux-mêmes et sur le monde et de leur adresser un regard aussi respectueux qu’admiratif. Enfin, nous nous devons de rappeler que l’ÉVRAS est un processus qui se prépare, qui s’évalue et doit se pérenniser tout au long de la scolarité. L’aspect qualitatif est primordial.