Pour « L’École de l’impossible », le documentaire qu’il a tourné avant la pandémie, Thierry Michel s’est immergé dans le quotidien d’élèves que la vie n’a pas épargnés. Il en sort un film très touchant, à hauteur d’humanité.
Le collège Saint-Martin, dans la banlieue liégeoise, accueille plus de 400 jeunes qui y reçoivent un enseignement général, mais surtout technique et professionnel. Entre ses murs, une section est spécifiquement réservée aux élèves en décrochage scolaire, ces ados et jeunes adultes en échec permanent. Qui, depuis l’école primaire, ont un « bulletin rouge » et sont exclus des autres établissements de la région. Enseignants et personnel de direction sont conscients de l’enjeu et du défi. C’est dans ce microcosme, entre coups de gueule, coups du sort, tranches de vie et belles surprises, que Thierry Michel a posé sa caméra durant une année scolaire. Loin du voyeurisme et de tout angélisme, cette réalisation illustre parfaitement le précepte de Victor Hugo, selon lequel « Il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. »
Ce qui frappe dès les premières images de ce film qui ne se perd pas dans une longue introduction, c’est l’apparente facilité avec laquelle le cinéaste-intervieweur récolte les confessions et les états d’âme des étudiants avec qui il entre en discussion. « Et pourtant, précise Thierry Michel, nous n’avons pas du tout employé la technique “Strip Tease”, consistant à se faire oublier. J’ai travaillé avec une équipe normale, bénéficiant même, en fait, de gros moyens. Une fois le tournage commencé, je ne me suis pas posé la question d’une quelconque discrétion. Nous avions au préalable installé une relation de confiance avec les élèves, avec les professeurs et la direction de l’établissement. Quand vous prenez le temps d’expliquer votre projet et de parler avec votre entourage, la caméra est perçue comme bienveillante. J’ai aussi montré des extraits de mes reportages précédents pour expliciter ce que je voulais faire. Et cette façon de procéder a payé, une fois de plus ! Même si quelques-uns de nos interlocuteurs se sont un peu comportés comme des matamores au début, ils sont vite revenus à un certain naturel. Je crois que plus les gens se sentiront à l’aise au fur et à mesure des échanges, moins ils joueront un rôle, et plus ils se comporteront normalement. La spontanéité, c’est bien ce que je cherche. »
De l’humanisme, pas de voyeurisme !
Pas question de jeu d’acteur, donc. Même si, le générique l’atteste, notre homme est aussi son propre « scénariste ». On ne peut s’empêcher de se demander, comme pour chaque documentaire « en immersion », où se trouve la limite entre le « film » et le « doc ». Autrement dit, pourquoi recourir à un scénariste, alors qu’il s’agit « juste » de raconter le réel avec des gens qui, de plus, ne sont pas des acteurs ?
Dans son documentaire tourné avant la pandémie, Thierry Michel raconte l’histoire de jeunes en crise, confrontés à l’univers scolaire. Toute similitude… © Les Films de la Passerelle
« C’est une question que je me pose souvent », confirme Michel. « Mais, dans le cas de mes films, le scénario se limite juste à agencer ces moments de vie pour en faire un tout cohérent, sous la forme d’une histoire. Rien n’a été inventé, ni joué, ni recommencé pour les besoins de la caméra », continue-t-il. Fier, à juste titre, du résultat. Répondant à la grammaire cinématographique classique des personnages choisis parce qu’ils sont attachants et d’une dose d’humour bienvenue pour désamorcer un propos parfois très dur et dérangeant et, en même temps, à une profonde humanité dans des moments qui n’ont jamais rien d’aseptisé.
Ce qui n’exclut pas de poser des seuils à ne pas franchir de toute façon ! « Nous nous étions fixé une ligne rouge, comme dans chacun de mes films. Elle marquait clairement la limite entre les choses que nous voulions bien montrer et les autres. Et nous n’y avons jamais dérogé. Il ne fallait tout d’abord tomber dans aucun voyeurisme. Notre but, toujours le même, est en premier lieu d’essayer de trouver les pulsions de vie de ces gens, dans des destins souvent fracassés. Certains ont vécu des viols, des incestes, des abandons… D’ailleurs, cette école, c’est un peu celle de la dernière chance. » Comme le directeur de l’établissement le résume à un moment du film : « Nous avons des bras cassés, et nous sommes là pour les réparer. »
Et ce qui nous a fait sortir de la projection la larme à l’œil et l’espoir en bandoulière, c’est justement le fait que cette école arrive à recoller un maximum de morceaux. Sans triomphalisme, mais grâce à l’abnégation du personnel pédagogique. « C’était bien le but de montrer tout ça », s’enthousiasme le réalisateur. « Montrer que même les cas les plus désespérés peuvent dégager une part de lumière et d’espoir. Quelque part, cette philosophie reste ma ligne conductrice. Je demeure fasciné par cette capacité de l’être humain d’affronter tous les défis, même les plus ardus. Nous possédons une faculté de résilience énorme, qui m’émerveille encore chaque jour ! Malgré tout ce que l’humanité peut traverser comme périodes sombres, cela me donne quand même foi en l’avenir. »
Le fil (rouge) de l’espoir
Un avenir que Thierry Michel imagine à la fois au passé et au futur. Au passé parce que des affinités se sont créées entre lui et plusieurs de « ses élèves », comme il les appelle avec affection. « Certains m’ont invité chez eux, me donnent des nouvelles et m’en demandent. De plus, je vais encore souvent passer la pause de midi ou de dix heures dans cette école. Le futur, je l’imagine en deux temps : je travaille sur plusieurs projets, l’un sera consacré aux hauts-fourneaux liégeois, dont j’ai filmé la destruction depuis la cour du collège Saint-Martin. C’est d’ailleurs comme ça qu’est née l’idée de L’école de l’impossible… signe que tout est dans tout. Parallèlement, je m’étais déjà posé la question d’une suite après Les Enfants du hasard. Pourquoi ne pas s’intéresser à l’un ou l’autre des protagonistes en particulier ? Voir ce qu’ils deviennent après l’école, vers quelle filière ils s’orientent, avec quel taux de réussite dans leur vie », conclut-il en certifiant une fois encore que, pour lui, « c’est l’humain qui prime ».
D’ailleurs, si son cinéma et ses projets l’ont mené du fin fond de l’Afrique (Congo River, Katanga Business, L’Homme qui répare les femmes…) à la banlieue liégeoise, il existe cependant un fil rouge auquel se rattachent son parcours global et tous ses films : « Les situations désespérées, voire désespérantes, mais avec l’espoir de la lumière au bout du tunnel. » Bref, le signe que tout est possible, même quand on use ses fonds de culotte et ses traumas sur les bancs de L’École de l’impossible.