Espace de libertés | Septembre 2021 (n° 501)

Religions à l’école  : et si l’on apprenait à se connaître ?


Dossier

Aborder les questions philosophiques ou religieuses n’est pas simple en classe. Souvent, la méconnaissance est reine, alors que les points communs sont nombreux. Des situations qui peuvent créer exclusion et discrimination dans un lieu censé nous rassembler. Heureusement, des initiatives existent pour briser les murs.


Tout a commencé l’année dernière. Mathis, le fils de Barbara1 revient de l’école en expliquant à sa mère qu’il risque d’aller en enfer parce qu’il ne croit pas en Dieu ou en Allah. La famille – non-croyante – prend alors le temps d’évoquer le sujet avec l’enfant, en espérant que cette mise au point réglera son inquiétude. Des livres sont même offerts sur ce thème. Mais les semaines suivantes, Mathis rapporte pourtant des brimades de ses camarades de classe, toujours à ce sujet. Un jour, c’est même le contenu de ses tartines qui fera l’objet de moqueries. Des tartines au jambon qui empêcheront le jeune garçon de s’asseoir à côté de ses condisciples de confession musulmane.

Des brimades au harcèlement à caractère religieux

« C’est en évoquant le sujet avec d’autres parents que je me suis rendu compte que le phénomène était loin d’être isolé. Leurs enfants avaient subi les mêmes brimades, les mêmes réflexions qui tournaient à la longue en une forme de harcèlement », témoigne Barbara. Elle avertit alors l’école. « Au cours du rendez-vous, la directrice a admis que depuis plus d’une année, la situation dégénérait complètement au réfectoire, de sorte que les élèves de confession musulmane mangeaient entre eux et refusaient de s’asseoir à côté d’enfants non musulmans. » La famille est évidemment choquée de découvrir une telle situation. « La direction était totalement dépassée par les événements. » Barbara interpelle alors le pouvoir organisateur de l’école qui a déjà été confronté à des cas de figure similaires dans d’autres écoles et a proposé depuis de mettre en place des ateliers de philosophie et de citoyenneté pour régler la situation. « Mais ces cours sont limités à quelques heures seulement. Or, ce n’est pas à ce rythme-là que l’on va leur apprendre la tolérance… Cela pose réellement la question d’une éducation philosophique et citoyenne plus large », déplore Barbara.

« Mes enfants ne m’avaient jamais posé de questions sur Dieu, Allah, l’enfer, et c’est très bien qu’ils le fassent. Ils doivent intégrer cela, mais l’école a un rôle à jouer pour encadrer une éducation sur ces sujets de façon à ce que les enfants aient tous les moyens de comprendre l’autre sans juger ses différences. L’école devrait offrir les bases à chacun sur ces questions-là, sans attendre de tels événements. »

Les croyances, un jeu d’enfant?

Face à ce genre de constat, loin d’être rare donc, le Centre d’éducation à la citoyenneté du Centre communautaire laïc juif (CCLJ) a lancé en 2016 Kroiroupa, un jeu qui dit tout ou presque sur les religions, la laïcité, l’agnosticisme et l’athéisme. Destiné aux jeunes entre 10 et 16 ans, Kroiroupa explore les croyances les plus représentées en Belgique, sans oublier la laïcité, l’athéisme et l’agnosticisme. Ces croyances sont abordées en fonction des étapes de la vie de l’être humain (la naissance, l’adolescence, le mariage et la mort) et d’autres repères comme le calendrier, les livres, les interdits, les fondateurs, les lieux de culte, les fêtes… L’objectif est « simple »  : encourager le développement d’une pensée propre, d’un discernement éthique et le questionnement philosophique, le tout en éduquant les jeunes au respect de la personnalité et des convictions de chacun. Une initiative qui rencontre un certain succès auprès des élèves ainsi que des enseignants qui l’utilisent en classe.

« La force du jeu est qu’ils dédramatisent. On n’est pas là pour parler de religion, mais pour jouer. La dynamique n’est pas la même. En étant extérieurs à l’école, à l’institution, c’est plus simple d’aborder ces sujets qui peuvent être source de tensions. Certains professeurs ont en effet peur d’évoquer ces questions en classe, ne savent pas toujours comment rester neutres… Il y a en effet une difficulté. Et ce n’est pas un hasard si, lors du lancement du jeu en 2016, dans un contexte marqué par les attentats terroristes, les demandes d’animation ont été très nombreuses dans les écoles », explique Zora Vardaj, animatrice socioculturelle au Centre d’éducation à la citoyenneté du CCLJ. Son collègue, Charles Hosten, renchérit  : « Il y a encore et toujours une forte demande des enseignants à être outillés par rapport à ces questions. Notamment pour le cours de citoyenneté et de philosophie qui est un cours tellement “jeune” que les profs sont en constante demande d’outils. »

Casser les cloisons

C’est que ces sujets peuvent conduire à des tensions, tout simplement parce qu’il y a une ignorance de l’autre, reconnaissent les deux animateurs du CCLJ. « Les cours de religion se donnent généralement de façon cloisonnée, et il n’existe pas de moment où tous les élèves peuvent se retrouver ensemble autour de ces questions, pour discuter de sujets universels par lesquels passent les religions. Le jeu est là pour casser les cloisons, montrer que les religions parlent de la même chose pour évoquer les étapes de la vie… Notre idée est de revenir à quelque chose de plus universel, même si l’on préfère ne pas se présenter aux jeunes comme des gens qui ont des réponses à leurs questions, mais comme des personnes qui ont des questions face à leurs réponses. »

« Ce qui montre tout l’intérêt de cette démarche, c’est qu’au bout d’une centaine d’animations, il n’y a jamais eu deux parties identiques. On peut jouer mille fois, la partie sera toujours différente parce que chaque fois, les jeunes sont incités à se poser des questions, à entrer dans une réflexion de type philosophique », poursuit Zora Vardaj.

6b-p-jassogne

Covid oblige, le CCLJ a lancé en février dernier des formations destinées aux professeurs pour l’utiliser directement en classe. « Le confinement a permis de se pencher sur le jeu en lui-même pour le finaliser afin que les enseignants l’utilisent directement en classe », indique Zora Vardaj. « Lors de la formation, ce qui est crucial, c’est d’aborder la façon dont le professeur va se situer dans le jeu pour rester dans une position neutre, tout en animant le groupe, en posant des questions… Cela demande une certaine gymnastique car ce n’est pas si évident que cela », ajoute Charles Hosten. Une formation qu’a suivie Louise, enseignante dans une école fondamentale bruxelloise. « C’est un jeu que j’ai découvert lors d’une animation du CCLJ dans notre école il y a trois ans. C’est un jeu que j’aime beaucoup parce qu’il permet de rassembler tous les enfants, des jeunes dont une grande majorité dans nos écoles sont croyants, autour d’une animation où il n’y a pas de perdants ou de gagnants. Ils se rendent compte qu’ils ne sont pas si différents que cela, malgré des traditions et des rites divers. Ils sont souvent surpris par leurs nombreux points communs. De la sorte, ils se découvrent, apprennent à vivre ensemble. »

Tactique de jeu

Mais l’intérêt de passer par un jeu ou une animation extérieure est aussi « tactique »  : « Cela nous permet en effet de nous dédouaner par rapport à certains parents, minoritaires, qui peuvent avoir des réactions, parfois virulentes, sur ces questions. Ceux-ci n’aiment pas tellement que l’on parle des religions ou de laïcité en classe, ou que l’on distingue le fait de croire et de savoir. Ce sont des sujets qui fâchent. » L’enseignante de 62 ans admet qu’après des années d’enseignement, elle préfère éviter de constamment se justifier auprès des parents sur ces questions et craint qu’à l’avenir, ces sujets philosophiques et religieux risquent, sans une initiative comme Kroiroupa, de ne plus être abordés à l’école. « Heureusement, avec les enfants, cela se passe toujours bien, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils demandent souvent d’en savoir plus sur les autres religions, notamment les jeunes de confession musulmane. Ils nous disent que leurs parents ne leur parlent pas de ces thèmes, et ils aimeraient savoir. Ce qui permet d’avoir de beaux projets. En outre, là où les adultes ne mettent sur certains sujets que du religieux, les jeunes apportent une autre lecture, tout aussi intéressante », poursuit Louise. Ainsi, en abordant en classe le cas d’Anne Frank, beaucoup de jeunes ne se sont pas focalisés sur le fait qu’elle était juive, mais qu’elle était en conflit avec sa mère. « Comme quoi, tout n’est pas perdu », conclut l’enseignante.


1 Les prénoms ont été modifiés.