Espace de libertés | Janvier 2019 (n° 475)

Au cœur de l’institut psychiatrique du centre hospitalier universitaire Brugmann, à Bruxelles, la Clinique du jeu traite des joueurs pathologiques et des personnes rencontrant des problèmes de cyberdépendance. Une méthode ? Le retour sur soi.

Depuis 2014, Mélanie Saeremans, psychologue et psychothérapeute, assure la coordination de la clinique. Ce centre de référence en Belgique dans le domaine des dépendances sans substance. Elle propose des consultations spécialisées pour le traitement de personnes dépendantes aux jeux de hasard et d’argent (casino, loterie, paris sportifs, bourse), à Internet (jeux vidéo, réseaux sociaux) et aux achats. « Une pratique devient excessive lorsque celle-ci va être intense, envahissante, et va être privilégiée au détriment de toute autre activité qui était pourtant attractive pour la personne », explique Mélanie Saeremans. Le jeu ou d’autres activités sur le net deviennent alors le principal centre d’intérêt et de plaisir pour l’utilisateur.

« Je rencontre des personnes dont la pratique ludique (jeux de hasard et d’argent), devenue envahissante, engendre une souffrance et une perte d’autonomie dans leur vie au quotidien. J’accompagne également leur entourage, démuni face à des situations de crises psychologique, familiale, conjugale et sociale », poursuit la psychologue.

Un second volet important de sa pratique clinique concerne l’accompagnement d’adolescents et de jeunes adultes trouvant refuge dans des mondes virtuels appelés MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs). « À cette période où le registre identitaire est fortement sollicité, l’investissement passionnel dans les jeux en ligne procure le sentiment d’une reprise de contrôle sur son environnement, à défaut de pouvoir contrôler ses propres conflits psychiques internes. Pour la plupart des adolescents, ces mondes virtuels représentent un espace transitionnel moderne, espace entre réalité externe et réalité interne, permettant une expression créatrice et jouant un rôle dans les processus de représentation et de symbolisation pour permettre in fine un premier pas vers l’autonomie. Pour certains, le recours quasi exclusif à une réalité virtuelle va s’apparenter à une fuite, un refuge qui leur permet de se soustraire à une réalité trop angoissante. »

Tous les âges, toutes les classes

L’aide individuelle aux personnes dépendantes a rapidement mis en évidence la nécessité de mettre en œuvre des traitements pluridisciplinaires au sein de la clinique : assistance psychologique, sociale, médicale, mais aussi familiale. Les personnes en difficulté avec ces pratiques peuvent bénéficier de suivis individuels, de famille ou de couple. La clinique reçoit entre 300 et 400 patients par an, sur le mode ambulatoire. « De tous âges et de toutes classes sociales », souligne Mélanie Saeremans. Les plus jeunes ont 16 ans, les plus âgés plus de 80. « Certaines données statistiques démontrent que les adolescents seraient plus à risque. Nous accueillons une population jeune qui est davantage en difficulté avec le numérique. Concernant les jeux de hasard et d’argent, les jeunes sont souvent attirés par les paris sportifs. » La clinique accueille aussi plus d’hommes que de femmes, mais le nombre de ces dernières croît depuis l’avènement des jeux en ligne, plus faciles d’accès.

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Comme le rappelle la psychologue, parmi les patients de la clinique, beaucoup ont perdu des milliers d’euros. Certains sont surendettés. Raison pour laquelle la clinique commence par travailler avec le service de médiation des dettes ainsi qu’avec diverses organisations d’aide spécialisées comme les Joueurs anonymes (voir encadré), afin de mettre ces personnes dépendantes à l’abri et d’entreprendre avec elles une série de démarches sociales et juridiques. La clinique engage ensuite un suivi psychothérapeutique personnalisé, en définissant des objectifs avec chaque personne. « Les patients présentent une grande hétérogénéité clinique. Nombre d’entre eux souffrent de plusieurs troubles différents. Le jeu résulte d’ailleurs parfois pour eux d’une tentative d’autoguérison d’un autre trouble », explique encore Mélanie Saeremans.

Trouver un but

Dans cette phase de suivi, la clinicienne peut sonder les motivations du patient, vérifier s’il est prêt à changer. L’objectif est d’inviter progressivement le patient à explorer les bénéfices qu’il retire du jeu. « Une recherche qui s’avère délicate, car l’individu a tendance à dénier ce qu’il en retire : il faut donc chercher à identifier avec lui les facteurs de maintien cachés, ces mauvaises bonnes raisons qui le poussent à jouer », continue-t-elle.

Grâce à ce travail sur soi, la clinicienne avec le patient pourra identifier les situations à risque. « Elles peuvent être de divers ordres : on joue quand on touche son salaire, ou quand on reçoit une mauvaise nouvelle, quand on s’est disputé avec son partenaire, quand on a une grosse facture à payer… Et souvent, plusieurs de ces raisons se combinent entre elles. »

Une fois ces situations identifiées, la spécialiste s’attelle à définir, toujours en collaboration avec le patient, une stratégie de résolution de problème. « Si c’est un problème conjugal, il faudra peut-être entamer une thérapie de couple ; si c’est un souci lié au travail, traiter avec son employeur ; si c’est lié à une situation de chômage, réorienter la personne vers un service d’aide à l’insertion professionnelle ou vers une formation. L’essentiel est de leur trouver un but. »

Pour les jeunes, l’origine du problème et la stratégie diffèrent quelque peu. « Les jeunes qui s’adonnent aux paris sportifs ont souvent l’impression d’être compétents, ce qui les valorise, avec un éventuel gain d’argent momentané. Cela leur donne un sentiment de puissance, alors qu’ils ne sont guère mis en valeur dans leur famille ou à l’école. Dans leur cas, la thérapie aura pour objet de leur rendre confiance en eux. »

Si la tâche est vaste, la mission se révèle aussi difficile. La clinique ne diffuse pas de statistiques sur les résultats obtenus à l’issue de ces thérapies, qui durent des mois et parfois des années. « L’objectif n’est pas nécessairement d’arrêter de jouer, mais de jouer différemment ou de régler des problèmes personnels. En cas de surendettement ou quand la personne subit d’autres addictions, la mission est souvent difficile, mais nous l’accompagnons alors vers un mieux-être. Certains arrêtent le traitement en cours de route, d’autres rechutent, puis reviennent, d’autres parviennent à changer de comportement. »