Julian Assange est réclamé par la justice américaine, qui le poursuit pour la diffusion de centaines de milliers de documents confidentiels. La fameuse affaire WikiLeaks connaît là un nouveau rebondissement. L’Australien de 49 ans risque une condamnation de 175 ans d’emprisonnement pour espionnage. Mais, début janvier, la juge britannique Vanessa Baraitser a refusé l’extradition du journaliste lanceur d’alerte. Peut-on s’en réjouir ? L’opinion de Pierre-Arnaud Perrouty, directeur de la Ligue des droits humains.
« C’est une victoire à double tranchant : dans l’immédiat, c’est positif, car son état de santé ne permet pas de l’extrader, et, sur le fond, nous sommes nombreux à contester la raison même de son extradition. Mais le problème, c’est que le motif invoqué par la justice anglaise laisse présager que, s’il avait été apte à pouvoir être extradé, il l’aurait été, ce qui va plutôt dans le sens de la justice américaine. Il y a donc un vrai danger. La juge émet l’hypothèse d’un engagement de Assange dans des activités allant au-delà du strict travail de journaliste. Tout l’enjeu sera donc de départager ce qui relève en l’espèce du travail journalistique et ce qui n’en relève pas, auquel cas le droit américain est moins protecteur. Les États-Unis basent leur action en justice sur l’Espionage Act. De mémoire, c’est la première fois que cette loi datant de la Première Guerre mondiale est utilisée à l’encontre d’un journaliste, mais pas d’un lanceur d’alerte comme Snowden ou Manning. C’est donc très dangereux pour l’avenir de la liberté de la presse. Les Américains sont conscients de cette limite, raison pour laquelle ils ont aussi décidé de poursuivre Assange pour intrusion dans le système informatique (par Chelsea Manning en l’occurrence, qui lui a fourni les informations) et espionnage. On sent donc bien que les États-Unis ne sont pas très à l’aise quant aux fondements juridiques et qu’il s’agit surtout d’une décision politique épidermique. Ils ont fait appel de la décision. Dans cette attente, Assange a demandé à être libéré sous caution et cela lui a été refusé. C’est un abus, car si le motif invoqué est la raison de santé, il devrait pouvoir sortir, d’autant plus qu’il aurait pu fournir comme gage de sécurité une caution considérable.
© Pedro Pardo/AFP
La justice britannique estime qu’il pourrait s’enfuir, se référant au fait qu’il s’est précédemment réfugié à l’ambassade d’Équateur. Ce qui est certes un peu extrême, mais ce qui l’est encore davantage, c’est la peine de 175 ans d’emprisonnement qui l’attend s’il est extradé aux États-Unis. Assange est certes une personnalité particulière, mais son image a été fort souillée par les Américains, qui l’ont d’abord accusé de viol, puis qui ont affirmé qu’il a mis en danger de mort plusieurs personnes, ce qui n’a jamais été prouvé. Or, au-delà de sa personne, les enjeux sont énormes. […] Assange serait sûrement mieux protégé s’il était Européen. L’administration Biden pourrait changer la donne, mais cela reste un point d’interrogation pour l’instant. » (se)