Espace de libertés | Février 2021 (n° 496)

Les salles sont tristement vides et nul ne sait quand elles pourront à nouveau s’ouvrir aux fans de musique. Comme tous les artistes, Baptiste Lalieu, alias Saule, a pris la pandémie de plein fouet. De nature positive, l’auteur-compositeur-interprète ne sort pas les violons  : il préfère en tirer des leçons et retenir les élans solidaires.


Comment avez-vous traversé 2020 ?

Avant le confinement, j’avais dit à mon label que j’avais besoin de plus de temps pour finir mon 6album. J’en ai eu plus que prévu (rires). Tout ce qui touchait à la production était encore possible, et j’en ai profité. J’ai eu la chance de pouvoir aller avec le groupe en studio à Paris pour le peaufiner. Lors du premier confinement, j’ai écrit « Dans nos maisons », un coucou aux gens qui, comme moi, étaient coincés chez eux. Je l’ai posté sur les réseaux et le succès a été tel que le titre a fini par passer en radio. Il a également été diffusé en France. J’ai versé les bénéfices à l’ASBL L’Îlot, qui œuvre pour les sans-abri. Il y a aussi eu la sortie de « Mourir, plutôt crever », en duo avec Alice on the roof  : le morceau a été écrit avant la crise, mais a pris tout son sens durant celle-ci. C’est un cri de guerre, un cri de vie. Son mot d’ordre, c’est de ne pas se laisser abattre !

Nombre de travailleurs du secteur culturel, dans le domaine musical notamment, se sont pourtant sentis abattus…

Je préfère retenir les élans solidaires nés durant cette période. Le premier confinement a en fin de compte été, pour beaucoup, l’occasion de lâcher prise, de passer du temps avec ses proches. Cela n’arrive pas souvent dans ce milieu, où tout est toujours sous contrôle, planifié… Le second confinement a été plus violent, un vrai coup de massue. Ne nous voilons pas la face  : c’est un beau merdier pour plein de gens. Je touche des droits d’auteur et j’ai eu accès au droit passerelle, cela m’a sauvé. Mais tout le monde dans le milieu n’y a pas eu droit. Lorsque je croisais des techniciens, le message était le même  : c’était chaud ! Beaucoup se sont retrouvés sans revenus. Parmi eux, il y en a qui doivent bosser vingt jours par mois pour remplir leur frigo. Ils n’ont pas d’activités parallèles. L’annulation des concerts, ça a été un drame pour eux. Certains, qui ont dédié leur vie à leur métier, ont dû mettre la clé sous le paillasson. Et cela vaut pour d’autres secteurs  : bon nombre de personnes qui vivaient en équilibre fragile ont basculé sous le seuil de pauvreté.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Avec optimisme malgré tout. Comme beaucoup, je fais le pari que d’ici quelques mois, tout va repartir. J’ai déjà des dates prévues et j’y crois. Il faut continuer à y croire ! Les artistes sont là pour donner la niaque aux gens. S’il y a bien des gens qui ne doivent pas rentrer dans un marasme négatif, ce sont eux. Le monde a besoin de sas d’oxygène ; nous sommes là pour les remplir. Les solutions alternatives technologiques ne suffisent pas. On ne partage pas de la même façon un film vu en salle et vu sur une tablette. De même, un concert en live, c’est unique ; le streaming n’offre pas la même complicité, la même émulation. Même si j’ai moi-même participé à des projets en ligne et trouvé super des tas de propositions d’artistes sur les réseaux. Voir des gens comme -M-, Souchon, Cali, Aubert… jouer dans leur salon, ça a fait du bien. Tout comme voir des artistes qui n’ont pas eu peur de sortir un nouvel album, alors qu’il n’y a pas de live prévu derrière pour le défendre.

Le live vous manque ?

Et comment ! Cet été, j’ai pu jouer dans des formules à deux sur scène, dans le respect des règles sanitaires. On a parfois l’impression que rien n’a été fait, mais le secteur n’a pas baissé les bras, des choses ont été mises en place pour que la culture continue à vivre. Certains, plus énervés que moi, vous diront qu’on n’en a pas fait assez, mais j’ai l’impression qu’on a fait de notre mieux.

Qu’est-ce qui devrait être mis en place pour une vraie reprise ?

Il faut une concertation entre le milieu sanitaire et le milieu culturel. Les virologues et autres scientifiques devraient se mettre à table avec des agents du secteur culturel pour réfléchir à des solutions. On peut imaginer des prestations en salles avec des jauges limitées, des concerts avec masque obligatoire, l’obligation de présenter un test négatif avant de venir voir un spectacle, etc. Car dire que c’est mort, qu’on ne peut plus organiser de festivals, de concerts, de foires… avant 2022, voire 2023, c’est flinguer tout le monde. Et je ne parle pas seulement au nom des artistes, mais aussi du public. La culture, on en a tous besoin. On ne peut pas nous en priver ad vitam æternam.