Espace de libertés | Février 2021 (n° 496)

Le naturel revient au galop, gare à ses sabots !


Coup de pholie

Défense du vivant, droits de Gaïa, parlement des choses, biomimétisme… le naturel revient au galop dans les préoccupations ou les solutions relatives à la crise écologique. Sans nier la nécessité de transformer nos modes d’être au monde avant que tout ne soit épuisé, corrompu ou ruiné, méfions-nous des présupposés philosophiques du slogan  : « Nous sommes la nature qui se défend. »

Rien n’est naturel de ce qui est humain. L’humain se démarque des autres vivants par l’insuffisance de sa nature qui l’oblige à se former et à transformer son milieu. Sa négativité constitutive lui donne accès au symbolique. Le vivant préserve la vie. L’humain construit un monde. Son rapport aux autres vivants est construit, au sens pratique et épistémologique. Il peut modifier cette construction, point s’en extraire.

Lui, et lui seul, peut déconstruire et reconstruire le monde. Il ne le peut qu’à partir de ce qui le distingue des autres vivants. Cette conscience grâce à laquelle il prend la mesure des problèmes et des mesures appropriées. Cette science dont les progrès comprennent désormais les autres vivants de manière plus complexe que Descartes. Sans pour autant pouvoir abolir la distance ou traverser le rideau qui nous en sépare. Ce n’est donc point à l’écoute de ou en symbiose avec le vivant que nous sauverons l’avenir. Impossible, une telle immédiateté s’avère de surcroît dangereuse.

Pour relever le défi climatique, c’est d’une politique du monde dont nous avons besoin. La politique ne relève pas du vivant, mais de l’« être-avec » de l’humain, en ce compris son être-avec les autres vivants incapables de lui rendre la réciproque. Le vivant ne se politise pas lui-même et ne se laisse pas politiser sans péril essentialiste. Il ne s’inquiète pas de l’avenir collectif. Il ne se préoccupe que de sa survie. Nous ne voulons pas perdurer à n’importe quelles conditions. C’est lorsque le vivant prime sur le monde qu’on justifie les différences sexuelles, la sélection naturelle, le survivalisme ou le néodarwinisme ; qu’une politique immunitaire s’impose avec les mêmes menaces que la politique sécuritaire. Nous aspirons à vivre libres et égaux. Vivre libre ou mourir, tel est le risque que l’humanité doit assumer pour être… en développant une dialectique avec l’environnement qui permette à l’histoire de continuer pour toutes et tous.