La Francophonie réunit aujourd’hui 88 États et gouvernements. L’institution ne date pas d’hier et, dès 1970, les francophones de Belgique ont participé à ses travaux. Wallonie-Bruxelles International et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) œuvrent à la coopération multilatérale. Petit tour dans les coulisses de deux institutions qui s’interrogent sur leur avenir.
En 1980, la deuxième réforme de l’État prévoit que les Communautés (française et flamande) puissent créer des administrations chargées des relations extérieures ayant leur propre personnel. Cette décision conduit à la création, fin décembre 1982, du Commissariat général aux relations internationales (CGRI). C’est Roger Dehaybe qui est choisi pour le diriger. Sa mission, comme il le précise, « est de jeter les bases d’une politique internationale propre aux francophones de Wallonie et de Bruxelles ». Celui qui deviendra plus tard administrateur général de l’OIF (1998-2005) se souvient du climat de l’époque et évoque la lente construction de cette administration, dont il a récemment couché sur le papier le parcours belge et international dans Le Choix de la Francophonie. Deux questions retiennent particulièrement son attention : les accords de coopération et la francophonie comme dispositif institutionnel.
Nécessité de prioriser
Lorsque le CGRI est créé, il hérite des 46 accords de coopération culturelle conclus par le gouvernement belge. Comme les ressources humaines et financières sont limitées, il convient d’opérer des choix. La sélection est « menée dans une large concertation au cours de séminaires et de journées de réflexion avec des experts universitaires, culturels, des personnalités du monde économique. Les priorités devaient tenir compte d’un certain nombre d’éléments : le rôle des ONG dans le pays concerné, les intérêts économiques, les relations historiques, les valeurs démocratiques ; et surtout la possibilité de concrétisation effective de relations bilatérales s’appuyant sur de réelles complémentarités ainsi que la reconnaissance internationale des nouvelles institutions belges et donc de la Communauté française de Belgique ». Au terme de ce travail, le nombre d’accords est limité à 30.
La Francophonie : de la culture au commerce
Roger Dehaybe rappelle pourquoi la Francophonie est au cœur de l’action internationale des francophones de Belgique, qui profite ainsi d’un levier de reconnaissance internationale extraordinaire et irremplaçable. À ce propos, il se concentre sur les relations internationales de Wallonie-Bruxelles telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui.
La Convention sur la diversité culturelle de l’Unesco entend empêcher que les cultures appartenant aux pays les plus riches s’imposent comme les seules références et marginalisent, plus encore, les cultures minoritaires et celles des pays pauvres. © Fang Zhe/Xinhua/AFP
Tout d’abord, il constate que le nombre d’accords bilatéraux a considérablement augmenté (71 aujourd’hui pour la seule Fédération Wallonie-Bruxelles) alors que le budget disponible est modeste (6,9 millions en 2019). N’est-il pas temps de mener une nouvelle « réflexion de fond » ? Ensuite, il souligne la cohérence que la Francophonie donne à l’action internationale de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais il se demande si cet atout n’est pas négligé au profit d’impératifs essentiellement commerciaux. Une inquiétude renforcée par les échanges actuels de propos au sujet de l’avenir de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Si elle disparaissait – comme cela est régulièrement évoqué –, que deviendraient les relations internationales, qu’en serait-il de l’appartenance à la Francophonie, d’une réelle importance ? Que se passerait-il dans ce cas si les préoccupations en matière de relations extérieures prenaient un caractère essentiellement commercial ? Roger Dehaybe exprime clairement ses craintes que les priorités économiques, toutes importantes qu’elles sont, n’« influencent les choix de politiques internationales qui doivent d’abord faire intervenir les références aux droits de l’homme, à la démocratie et à la langue française, sans ignorer le bien-être ni la prospérité des populations ».
Une organisation internationale
Après quatorze années à la tête du CGRI, Roger Dehaybe a été nommé administrateur général de l’Agence internationale de la Francophonie (aujourd’hui OIF) en 1998. Il rappelle aussi quelques-uns des nombreux combats de la Francophonie et, en premier lieu, celui de la diversité culturelle. Car c’est bien l’OIF et ses pays membres qui ont réussi à faire voter la Convention sur la diversité culturelle en 2005 à l’Unesco, afin d’empêcher que « les cultures appartenant aux pays les plus riches s’imposent comme les seules références et marginalisent plus encore les cultures minoritaires et celles des pays pauvres ».
Mais, au-delà du vote, Roger Dehaybe observe que de nombreuses dispositions du texte, comme la création du « Fonds international pour la diversité culturelle », sont restées lettre morte ou presque (le Fonds a reçu en 10 ans 8 millions de dollars, soit à peine une goutte d’eau dans l’océan !). Il démontre aussi que le processus s’est arrêté trop tôt, car un autre enjeu – tout aussi important – menace : la marchandisation de l’éducation. En effet, de nombreux États cèdent aujourd’hui au privé l’organisation de leur enseignement sans imposer de normes ni une quelconque régulation.
Clarifier les politiques, un enjeu d’avenir
Roger Dehaybe en vient à s’interroger sur l’évolution de la Francophonie institutionnelle. Sa première inquiétude concerne l’élargissement de l’OIF, le nombre sans cesse croissant des membres rendant « plus difficile l’expression de positions politiques claires ». Fait étonnant, sur les 88 membres, 32 seulement comptent encore le français parmi leurs langues officielles. Et il s’émeut de la présence de pays qui « ont pris des mesures contre l’indépendance de la justice et sur la liberté de la presse » – sans parler de l’un des thèmes prioritaires de la Francophonie : l’égalité entre les femmes et les hommes. Seconde inquiétude, la question du financement. Chiffres à l’appui, Roger Dehaybe démontre que les budgets disponibles pour les activités diminuent alors que les besoins augmentent. Il en appelle donc à un « recentrage » des politiques. En somme, il formule les mêmes recommandations que celles proposées pour la Fédération Wallonie-Bruxelles.
La force de l’action internationale « repose d’abord sur des convictions et sur la fierté d’appartenir à un pays, à une communauté, à une région ». Résolument, il plaide pour une réaffirmation d’une politique de relations internationales indépendante des objectifs du commerce extérieur. Ses derniers mots sont un appel à « retrouver l’esprit militant qui, dans les années 1980, avait conduit les responsables à se mobiliser unanimement pour assurer dans le monde le rayonnement et l’influence des francophones de Wallonie et de Bruxelles ». Fort de son expérience, Roger Dehaybe appelle à ce sursaut tant à Bruxelles qu’à Paris.