Le mot « pédagogie » n’a peut-être jamais été autant à la page, brandi tant par les gouvernants que par les journalistes. Au sujet de la crise sanitaire, nous aurions donc besoin qu’on nous explique. Quoi, au juste ? Pourquoi nous devons nous faire vacciner. Pourquoi nous devons rester chez nous. Pourquoi nous devons nous masquer, même dans la rue. Pourquoi il est légitime que le secteur culturel et l’Horeca soient les secteurs martyrs des mesures touchant les travailleurs. En somme, comme un parent démontre à son enfant pourquoi il est justifié qu’il soit puni – ou plutôt, en réalité, pourquoi il doit accepter la sanction sans rechigner. La différence est sensible. Car nous voulons bien savoir pourquoi telle mesure a été prise, quels dilemmes ont dû affronter les dirigeants, quelles raisons les ont conduits à choisir telle option, avec quels risques, quels coûts et quels avantages attendus. L’un des échecs les plus massifs de cette gestion de crise, c’est que cette « pédagogie » nous tient lieu d’information. Le mot sert à masquer l’effet recherché : nous devons obéir. Ce que nous pouvons savoir est souvent limité à ce qui permet de légitimer la décision prise, plutôt qu’à en rendre raison devant un peuple souverain. Une partie non négligeable de l’œuvre pédagogique des médias et des politiques consiste à nous enseigner comment nous devons agir. Le porte-parole du gouvernement dans la lutte contre le coronavirus nous expose ainsi comment, de l’invitation inaugurale à la porte de sortie, en passant par les toilettes, nous devons recevoir des invités chez nous… On en est même venu, tout récemment, à ce raccourci étonnant qui démasque la stratégie : nous informer de la manière dont nous allons être sanctionnés si nous n’obéissons pas. Il n’est plus nécessaire, semble-t-il, de justifier l’utilité sanitaire d’une restriction de la liberté de circuler. Il suffit d’exposer comment on fera respecter l’interdiction. L’explication, dit le philosophe Jacques Rancière, est un principe d’abrutissement. Le maître explicateur suppose que l’élève a besoin d’un raisonnement pour comprendre. Il lui signifie par là qu’il n’est pas en mesure de comprendre par lui-même. Nos « pédagogues » de la crise ont – et avec toute une population d’adultes – dépassé de loin ce principe d’abrutissement.
Coup de pholie