Son modèle bouscule quelque peu la doxa européenne : depuis 2015, la coalition des gauches au Portugal a opté pour un autre paradigme de régulation de la crise que celui de l’austérité prônée par la Troïka. Analyse d’une recette… « miracle » ?
Selon un sondage publié par l’ERC (Entidade reguladora para a comunicaçao social)1 en juillet dernier, 37 % des Portugais interrogés estimaient que la situation économique s’était améliorée au cours de la dernière année. Globalement, 50 % des sondés se déclaraient satisfaits du travail entrepris par le gouvernement en place depuis les élections législatives de 2015. On peut y voir une certaine logique : 56 % des répondants satisfaits indiquaient une sympathie pour le parti socialiste, celui qui est par ailleurs crédité par le même sondage comme ayant la préférence des électeurs pour le prochain scrutin législatif du 6 octobre.
Quatre ans après sa défaite aux élections législatives et l’étonnante création d’une coalition qualifiée de « gadget » (geringonça en portugais) de par son caractère inopiné, le parti socialiste portugais semble donc gratifié d’un niveau de satisfaction honorable, hypothèse renforcée par les résultats obtenus aux élections européennes où le PS a emporté 33,4 % des suffrages, renforçant ainsi sa présence au Parlement européen. Les alliés de la coalition sortante, les communistes et le Bloc de gauche, perdant par contre des plumes lors de ce scrutin. Un autre sondage lancé par le site Politico2 conforte d’ailleurs le parti d’Antonio Costa, le Premier ministre actuel, pour rempiler au niveau du pouvoir, avec une estimation de 37,6 % des votes. Et c’est là que – rétropédalage – l’analyse devient intéressante. En 2015, en effet, le PS et ses 32,3 % de voix, n’obtient pas de majorité aux législatives. Pourtant, malgré sa position minoritaire (86 sièges sur 230 au parlement), le PS va finalement se retrouver au pouvoir, en s’alliant à la gauche radicale (parti communiste et Bloc de gauche) et aux verts (le PAN). Une alliance qui a surpris le pays, vu les réticences des partis de gauche à travailler ensemble depuis la Révolution des œillets en 1974. Une coalition improbable selon l’opposition, qui traita alors ce nouveau gouvernement de « gadget ». Le pays de la « kamikaze » n’a clairement pas la palme des surnoms !
Le parti blanc
Concernant les prochaines élections portugaises, loin de nous l’idée de jouer sur le terrain des pronostics, d’autant que la droite historique, le PSD, qui avait certes remporté les élections en 2015, grâce à son entrée dans une coalition, est à présent crédité de 22 % selon Politico (le sondage de l’ERC donne plutôt les chiffres de 26 % pour le PS, de 15 % pour le PSD et de 3 % pour le PAN). Sans oublier qu’au Portugal, à l’instar d’autres pays européens, le clan qui remporte le plus de voix est celui des votes blancs et des abstentionnistes (35 % selon le sondage), dont on sait qu’ils peuvent parfois peser lourd dans les surprises de dernière minute. Autre inconnue : le PAN (Pessoas-Animais-Natureza, traduisez Gens-Animaux-Nature), un jeune parti « défenseur de l’environnement, de plus d’humanité envers les êtres humains et les animaux et en faveur d’un autre paradigme économique et sociétal », qui vient de doubler son score aux européennes. Quoi qu’il en soit, le sondage démontre que les Portugais seraient plutôt favorables (à 41 %) à la reconduite d’un nouveau gouvernement de coalition qu’à un exécutif mené par un seul parti.
Au-delà des statistiques, le « miracle » portugais est un cas d’école intéressant sous deux angles. En premier lieu, par rapport à un cadre qui nous est familier : celui d’un gouvernement notamment composé des « perdants » du scrutin législatif et qui acquiert ensuite une majorité par le truchement d’une coalition aux accointances incertaines. Dans le cas portugais, le parti communiste a accepté de mettre de l’eau dans son vin et de s’engager fermement sur les matières (le budget entre autres) qui devaient absolument être traitées durant la législature. Le fil rouge de ce gouvernement, si l’on ose l’expression, était alors de mettre fin à la politique d’austérité et aux privatisations. Deuxièmement, le Portugal réussit finalement l’exploit de s’en sortir plutôt bien, surtout lorsque l’on se rappelle qu’il était quasiment aussi exsangue que la Grèce voici une décennie. Il reste du chemin à parcourir, certes, mais d’une manière générale, la population est aujourd’hui plus optimiste. Même si certains ont dû s’adapter, tel ce chauffeur de taxi, heureux de la folie touristique qui s’est emparée du pays, après son licenciement de l’une des nombreuses entreprises ayant fait faillite voici quelques années. Il reconnaît que sa ville, Lisbonne, est parfois un peu trop bondée et que l’impact sur les prix de l’immobilier constitue un véritable problème, mais l’emploi se porte mieux. Il est vrai que le chômage tourne autour des 7 %, chiffre sous la moyenne européenne. De toute façon, il est impossible de vivre ici sans travailler faute de filet social solide. Et, sérieux bémol, le salaire minimum est de 600 euros… C’est pourtant 100 euros de plus qu’en 2015. La hausse des revenus, ce fut l’une des mesures phares rompant avec la doxa de la Troïka, qui prône plutôt le gel des salaires et des dépenses sociales, pour relancer la compétitivité des entreprises.
Un PIB de champion
L’État a donc misé sur le tourisme. On le constate sur le terrain, mais aussi côté chiffres : l’Institut des statistiques portugais ayant enregistré une croissance de 11,8 % dans ce secteur (soit 466 millions d’euros) depuis mai 2018. Mais pour attirer les investisseurs et entrepreneurs, le Portugal a également adopté des mesures qui portent leurs fruits dans certains domaines et qui satisfont l’indicateur usuellement employé : le PIB. Celui-ci enregistre une croissance de + 2,1 % pour 2018, alors qu’il n’était que de + 1,8 % en moyenne dans l’Union européenne. Épinglons aussi l’investissement conséquent dans les énergies renouvelables, ce qui a permis au pays de produire davantage d’électricité que sa consommation dès 2018 (103 % de production d’électricité verte en 2018 contre 6 % en 2017). Une « bonne pratique » intéressante à analyser pour d’autres pays européens. Transition énergétique, amélioration des revenus et de la protection sociale ont, au cours de la législature, permis une relance économique. Cependant, celle-ci ne profite toujours pas assez aux classes populaires, malgré une baisse des impôts sur le revenu des classes moyennes et une augmentation des pensions. Les indicateurs économiques s’attardant peu sur les conditions de travail (CDD, faible rémunération, heures supplémentaires non payées) et le coût du logement. Rappelons-nous également cette grève des camionneurs, avec comme revendication le relèvement de leur salaire minimum, qui a paralysé le pays en pleine saison touristique. Le Portugal n’est pas à l’abri de nouvelles contestations sociales. Les derniers chiffres de l’Institut de statistiques indiquant que le risque de pauvreté touche 17,3 % de la population, soit un point en moins que l’année précédente. Un taux élevé, mais qui est, là encore, intéressant de comparer à celui de la Belgique, soit 16,4 %, selon les dernières statistiques belges publiées pour 2018 !
La relance de l’économie par la consommation est une vieille recette… Certes imparfaite, mais peut-être plus efficace que celle prônée par la doxa européenne qui, on le constate, ne fonctionne pas. Dernier indicateur en date ? Ce vilain mot de récession, qui est à nouveau aux portes de différents États européens. Cependant, si le Portugal se porte mieux et relève la tête, il reste un bon bout de chemin à parcourir pour consolider sa relance économique et que celle-ci bénéficie à l’ensemble de la population. Car miser sur le tourisme (20 % du PIB), industrie propice aux variations conjoncturelles et sensible aux chocs externes, comporte un risque. Le Portugal a aussi beaucoup compté sur ses exportations (40 % du PIB) comme dynamique de croissance ces dernières années. Mais là encore, c’est sujet aux variations conjoncturelles (Brexit par exemple). Des facteurs de risques que l’on retrouve, ceci dit, dans d’autres pays de la zone euro. Last but not least, la dette publique du pays flirte toujours avec les 123 % du PIB (102 % en Belgique) et l’exode migratoire des jeunes qualifiés reste important, ce qui constitue une perte pour le pays. Il est évident que les élections du 6 octobre et la possibilité d’une reconduite de la coalition « gadget » constitueront le véritable stress test du fameux « miracle portugais » !
1 L’ERC est un institut de droit public chargé de la régulation de la communication sociale au Portugal.
2 « Portugal. 2019 general election », mis en ligne sur www.politico.eu.