Espace de libertés | Octobre 2019 (n° 482)

Un toit solidaire et convivial


Libres ensemble

Face au manque de logements adaptés aux ménages à faibles revenus, de nombreuses associations se mobilisent pour leur proposer un lieu de vie décent. C’est le cas de Solidarité Logement, en partenariat avec d’autres acteurs sociaux. Son créneau : des habitats groupés et participatifs.


L’initiative citoyenne Solidarité Logement est partie il y a dix ans d’une volonté de « pallier le sans-abrisme et le mal-logement en Belgique francophone ». À l’époque, un groupe d’amis issus de domaines complémentaires se mobilisent : architectes, géomètres, juristes, ex-banquiers… L’équipe compte désormais environ quatre-vingt bénévoles dont la moitié est très active, surtout à Bruxelles, mais aussi à Liège et dans le Hainaut. « La question du logement social reste problématique en Belgique, souligne Marc Bellis, à la tête de l’ASBL. Le délai d’obtention avoisine les dix ans et à Bruxelles par exemple, 43000 dossiers sont en attente. Or, le droit au logement prime, car il conditionne le droit à la santé, la profession, la sécurité, la dignité. Il s’agit du facteur le plus important de maintien du lien social. »

L’association Solidarité Logement, aujourd’hui membre du CAL, est née de l’expérience personnelle de certains membres frappés par la dure réalité de jeunes, de femmes avec enfants et d’autres personnes vivant dans la rue. Les jeunes étant régulièrement les laissés-pour-compte des politiques de logement. En particulier, « certains qui doivent quitter leur maison d’accueil à 18 ans, faute de subsides au-delà », poursuit Marc Bellis. « Dans la plupart des cas, ils sont peu scolarisés, le lien familial a été rompu et ils doivent inventer leur autonomie avec des revenus d’intégration sociale. À cela s’ajoutent d’autres freins, tous profils confondus, tels que l’allongement du temps d’attente si la demande de logement porte d’abord sur une personne puis sur deux, et en cas de colocation, les revenus perçus diminuent encore. »

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Mélissa et sa fille, Suleman, Myriam : la convivialité, en plus d’un toit ! © Catherine Callico

Solidarité Logement opère sur plusieurs fronts : outre l’investissement de fonds propres, l’ASBL procède à la recherche de financements (dons, fonds d’entreprises…), à l’acquisition de biens immobiliers et à leur aménagement. Ces biens sont ensuite loués à deux groupes-cibles fragilisés : les jeunes isolés et les familles monoparentales. Il ne s’agit pas d’interventions directes, mais via des agences immobilières sociales (AIS) au travers de projets menés par ou en collaboration avec d’autres associations, des CPAS ou plus récemment, des Maisons de la Laïcité. L’ASBL est ainsi devenue membre du Centre d’Action Laïque en 2018. « Aujourd’hui, la pénétration de la religion dans la société civile est de plus en plus importante. Or, le besoin de logement doit être rencontré de manière laïque ». Sans contrepartie idéologique, donc.

L’ASBL assure également l’émission de garanties locatives et d’aides (remboursables) au premier loyer. « De 2019 à 2021, nous prévoyons d’investir 750 000 euros. Mais nous ne sommes pas subsidiés et 97 % de nos ressources vont directement dans nos projets. Il est essentiel que ces montants aient un effet de levier pour obtenir des fonds d’autres origines. C’est là l’un de nos défis ».

La clé de l’émancipation

Le but ultime de Solidarité Logement et des autres associations concernées par la cause reste l’émancipation des occupants. Parmi les projets en partie financés par Solidarité Logement, deux initiatives d’habitat groupé développées à Ath et à Chièvres par À toi mon toit, un service de l’ASBL Compagnons, une association de promotion du logement (APL) à finalité sociale. Son but ? « Concrétiser des projets d’habitat groupé portés par des personnes en situation précaire et qui s’inscrivent dans une démarche intégrée, solidaire et participative », souligne Renaud François, assistant social. « En Wallonie, de nombreux logements sont inhabités et en accord avec les propriétaires qui en échange perçoivent des subsides pour la rénovation de leur bien, nous en assurons la gestion locative ».

Le siège d’À toi mon toit, basé à Ath, est accessible via une porte cochère qui mène à un vaste jardin urbain. Entre les deux s’étend le bâtiment de l’association, entièrement réaménagé, repeint, retapissé par l’équipe en collaboration avec des adolescents du coin dans le cadre de l’action communale « Été solidaire ». L’immeuble intègre également un projet d’habitat groupé qui réunit quatre ménages : deux hommes seuls du troisième âge et deux mamans de 40 et 53 ans et leurs filles.

« Nous fonctionnons comme une agence immobilière sociale, mais à la différence de celle-ci, nous assurons un accompagnement social, poursuit Renaud François. Ce qui permet par exemple de prévenir la dégradation des logements mis à disposition. Au travers de l’habitat groupé, nous tentons d’impliquer les gens dans une démarche participative. Ainsi à Ath et à Chièvres, les logements ont été repeints avec les habitants. De même, on a établi tous ensemble une charte qui reprend des valeurs essentielles comme la participation, la mixité, la solidarité, l’ouverture sur le quartier. À cela s’ajoute le règlement intérieur : pas de bruit après 22 heures, ne pas fumer dans les communs, l’organisation des poubelles… ».

Un projet de quartier

Afin de casser l’image parfois négative du logement social, dès le départ, le projet a été présenté au voisinage, également invité à inaugurer la fresque murale d’accueil. De plus, des initiatives participatives sont proposées, comme une fête des voisins ou un compost collectif. « En arrivant ici », se souvient Jean, « on est allé frapper aux portes de la rue pour expliquer qu’on était les futurs habitants du numéro 15 et proposer une séance d’information et un guide du composteur. Une trentaine de personnes se sont inscrites et reviennent régulièrement avec le seau de compost qu’elles ont reçu, dans le jardin. Celui-ci est ouvert à tous de 8 heures au coucher du soleil. »

Vivre en habitat groupé est d’emblée ce qui a ravi Jean : « Suite à mon divorce, j’ai voulu quitter Tournai et me rapprocher de mon lieu de travail. J’ai été séduit par l’idée de partage, de mixité et de lien avec le quartier. Seul et avec peu de revenus, j’imaginais me retrouver dans un logement miteux or, ici, tout est neuf et lumineux. À la base, on a des parcours et modes de vie assez différents, mais on fait ce qu’il faut pour que ça marche. On ne sait pas toujours la distance à tenir, qu’il s’agisse d’apporter une aide ou de préserver l’intimité de chacun, mais la communication se travaille peu à peu. »

Danielle, mère de quatre enfants, était sans domicile. Avant d’arriver dans son logement actuel, elle résidait chez l’une de ses filles depuis quatre mois. « Je me suis toujours débrouillée seule et je n’ai pas l’habitude de demander de l’aide. Ici, j’ai appris à le faire et inversement, il y a une vraie entraide ». Au fond du jardin, Danielle cultive son potager, pour nourrir en partie sa famille. Sur le côté, pour s’assurer quelques rentrées, elle tricote, crochète, réalise des cordelières ou des maronnes pour la Ducasse d’Ath. Elle répond également à des commandes pour la fameuse tarte à masteilles. « Ici, on rencontre plus de gens et cela rouvre l’horizon », sourit-elle. Pour Philippe, ce choix s’est également révélé salutaire : « Au départ, je vivais dans un petit village des alentours, très isolé, avec mon chien. En raison de soucis de santé et l’âge avançant, l’habitat groupé me convient bien. En tant que personne à mobilité réduite, je bénéficie ici d’espaces adaptés : cuisine, salle de bain, rampe d’accès… De plus, les autres locataires m’aident beaucoup au quotidien, par exemple pour sortir les poubelles ou si quelqu’un sonne chez moi… »

Du lien intergénérationnel

Outre la mixité, un grand attrait de la formule est de favoriser le lien intergénérationnel. C’est également le cas de ce deuxième projet inauguré par À toi mon toit dans la région, à Chièvres. Dans un cadre bucolique cette fois, sont regroupés deux maisons trois chambres, occupées respectivement par Marie-France et Mélissa, chacune mère de deux enfants, et deux appartements une chambre investis par Myriam, retraitée, et Suleman, artiste.

Ici comme à Ath, les jardins et la buanderie commune constituent des lieux de socialisation de premier plan. Cet été, les trois femmes ont ainsi pris l’habitude du petit café du matin pour débuter la journée. Myriam, baptisée Mymy par tou.te.s, partage ses confitures faites maison, et chacun.e participe à une forme d’entraide à sa façon. Tandis que le quotidien est ponctué de pauses cigarette ou entretien du potager. Chacun.e a retrouvé une structure de vie au travers de ce projet d’habitat groupé. Avec le décès de son mari et la faillite de sa société comptable, Mélissa a connu quelques années de galère : « En tant que femme avec enfants, il est très dur de trouver un logement. Les propriétaires font davantage confiance aux pères dans la même situation pour le paiement du loyer ». Myriam vivait avec son père et à la mort de celui-ci, faute de moyens pour louer un bien, envisageait « de retaper un mobil-home et de faire un tour d’Afrique. J’ai finalement tapé “vivre en communauté” dans un moteur de recherche, et je suis tombée sur ce projet ».

Le lieu dispose encore d’un jardin semi-privatif où ont été aménagés un étang, un enclos avec biquettes, un compost… Et des événements devraient d’ici peu y voir le jour comme des « Dimanche au jardin » ou des visites faune et flore pour les écoles. L’entre-soi ayant ses limites, l’insertion dans le tissu local se doit, ici comme ailleurs, d’être cultivé.