Espace de libertés | Octobre 2019 (n° 482)

Libres ensemble, dans un environnement préservé


Dossier

À la suite de Greta Thunberg, de nombreux jeunes ont séché les cours pour manifester contre le réchauffement climatique, entraînant un engouement médiatique sans précédent. Les grèves mondiales pour le climat et les manifestations, largement suivies, ont prouvé l’importance et la durabilité du mouvement. L’enjeu est de taille et concerne de près la laïcité.


Rien qu’en Belgique, les chiffres sont éloquents. Les actions en imposent par leur ampleur (il y a eu jusqu’à 75 000 manifestants lors de la marche du 27 janvier dernier à Bruxelles) et par leur récurrence, puisque chaque semaine, des manifestations étaient organisées. Certains, dans leur empressement à garder leurs prérogatives, ont ergoté sur les incohérences de la vague verte, y ont vu une dangereuse manipulation, ou encore un dysfonctionnement de la société, les adolescents s’autorisant à faire la leçon aux adultes au lieu de suivre leurs leçons. Greta Thunberg, et les représentantes de Youth for Climate, Kyra Gantois et Anuna de Wever, ont alors tenté de mettre les choses au point en prenant la plume.

L’homme et son milieu : des destins liés

À la lecture du petit livre de Greta Thunberg1, qui se présente comme un témoignage engagé, il apparaît clairement que son action se réclame du concept de désobéissance civile qu’Henry David Thoreau développait à la moitié du XIXe siècle. La démarche de Greta Thunberg peut alors se lire comme le refus de s’acquitter de certains devoirs (en l’occurrence, l’obligation scolaire) au nom de valeurs jugées plus fondamentales (la prise en compte du climat) que les politiques peinent à intégrer dans leur agenda. On notera que si le moyen s’oppose aux règles en vigueur, la finalité n’est nullement l’anarchie ou un refus soixante-huitard des limites, mais l’idée de faire entrer l’environnement dans la loi pour la bonne et simple raison qu’à l’ère de l’anthropocène, l’homme et le milieu ont un destin explicitement lié.

Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce lien n’est pas explicite. Mais il est clair que le texte doit être complété. En tout cas, depuis la Conférence des Nations unies à Stockholm en 1970 qui stipulait que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être »2, on a insisté à plusieurs reprises sur la dépendance des droits fondamentaux par rapport à l’environnement. Amnesty International a d’ailleurs récemment inscrit la lutte contre le réchauffement climatique dans son programme d’action et a remis le prix d’«ambassadrice de la conscience » à Greta Thunberg. L’engagement en faveur du climat n’est donc pas déconnecté de la lutte pour une société plus humaine. Il participe de ce sentiment d’indignation mis en avant par Stéphane Hessel et partage avec les mouvements citoyens cette idée que, face aux manquements de la politique, tout un chacun doit faire entendre sa voix.

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La question de la communication est alors cruciale. Selon Greta Thunberg, les médias n’accordent pas au problème de l’urgence climatique la place qui devrait lui revenir. C’est dès lors à eux qu’elle s’adresse, car si démocratie il y a, le pouvoir est aux mains du peuple et celui-ci n’est à même de l’exercer légitimement que s’il est correctement informé. Au niveau du contenu, Greta Thunberg ne prétend nullement avancer quelque chose de nouveau, elle se fait plutôt le relais des scientifiques, notamment du GIEC. Mais comme le message de ceux-ci n’a pas été entendu, elle estime de son devoir de s’en faire la porte-parole et de lui donner un écho. Ce faisant, elle incarne l’idée que la politique est l’affaire de tous.

Solidarité avec les générations futures

Or, c’est là précisément un des points sur lequel la laïcité organisée insiste. Il s’agit de faire en sorte que nous soyons tous « libres ensemble », que nous devenions les acteurs d’un monde qui change. Afin d’asseoir ces convictions dans la pratique, le Centre d’Action Laïque lutte pour que les fondamentaux soient respectés. Dans la mesure où la préservation d’un milieu vivable est la condition de possibilité des droits humains, on ne peut défendre les valeurs de l’humain sans défendre le milieu, car c’est à travers ce dernier que l’homme se rapporte à lui-même. C’est dans cette perspective que le Mémorandum du Centre d’Action Laïque proposé pour les élections régionales, communautaires, fédérales et européennes de 2019 montre que le climat pose, entre autres, la question de « la solidarité avec les générations futures » et de la justice, les plus faibles étant « les principales victimes de l’atteinte à l’environnement ». À ce titre, l’écologie relève de la justice sociale et demande à être encadrée afin de donner à tout un chacun les mêmes chances de pouvoir choisir sa vie dans un monde qui évolue. À côté de la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la biodiversité est également à l’agenda du Centre d’Action Laïque. C’est, en effet, dans son inter­action avec les autres vivants que l’homme construit son imaginaire. En tenant compte de cela, la science, dont un ralentissement est souhaitable afin de la rendre démocratique3, pourrait voir sa finalité revue. Loin de signifier l’appréhension irréfléchie d’un pouvoir technique, elle pourrait être facteur d’émerveillement, voire modèle d’inspiration, comme c’est le cas dans le biomimétisme.

«Nous sommes le climat ! »

En tout cas, la solidarité entre les hommes est conditionnée par un juste rapport avec l’environnement et les vivants avec lesquels ils sont en dialogue. Du coup, la question du climat ne porte pas sur un objet qui nous est extérieur, mais sur un rapport qui est constitutif de notre humanité en tant que telle. C’est là un point sur lequel insistent Kyra Gantois et Anuna de Wever dans un livre qui fait écho à celui de Greta Thunberg. Il y a une identification des hommes à la cause climatique, parce que l’humain est en interaction avec son milieu. « Nous sommes le climat »4 signifie que nous sommes tous concernés. Il s’agit d’un bien commun dont notre survie dépend et qui dépend du type de vie que nous menons. Contre le fait de s’en remettre à des arrière-mondes qui, comme on le voit avec le terrorisme fondamentaliste, menacent potentiellement le monde actuel, les jeunes activistes insistent sur le fait que nous n’avons qu’une planète. Elles prônent alors une décroissance de la production et une croissance de l’amour. Le message pourrait faire sourire. Mais la laïcité participe aussi d’un amour, un amour de l’humain, une foi en sa capacité à faire face aux enjeux qui se posent à lui. La laïcité est ainsi une attitude qui accompagne l’homme et évolue au gré des mutations de sa condition. Henri Bartholomeeussen, président du Centre d’Action Laïque, l’a bien souligné dans un récent entretien au journal Le Soir5. Si, historiquement, la laïcité a beaucoup combattu l’emprise cléricale, l’ingérence d’une religion donnée dans l’espace public, ses combats aujourd’hui se sont diversifiés. Il s’agit de faire de la laïcité un « principe » à même de garantir les droits humains fondamentaux.

Si pour défendre ceux-ci, les combats sont variés, ils sont aussi intrinsèquement liés. La crise des migrants prélude la question des réfugiés climatiques. Le problème des fins de mois difficiles et celui de la fin du monde annoncée participent d’une même difficulté à se projeter dans l’avenir. Dans cette perspective, la prise en compte du climat ne doit pas être l’occultation du présent au profit d’une vision alarmiste du futur, mais l’établissement d’un mode de raisonnement durable en ce qui regarde les enjeux de notre contemporanéité. L’esprit critique et le libre examen, qui constituent le noyau dur de la laïcité, sont des outils de premier choix pour relever ce défi.

 


1 Greta Thunberg (trad. Flore Vasseur), Rejoignez-nous, Paris, Kero, 2019.
2 Valérie Cabanès, Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide, Paris, Seuil, 2016.
3 Voir Isabelle Stengers, Une autre science est possible. Manifeste pour un ralentissement des sciences, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, 2013.
4 Anua De Wever et Kyra Gantois (avec la collaboration de Jeroen Olyslaegers), Nous sommes le climat, Paris, Stock, 2019.
5 Henri Bartholomeeussen, « La laïcité reste la garantie des libertés dans un monde qui change », dans Le Soir, 28 mars 2019.