La laïcité est basée sur trois valeurs fondamentales : l’égalité, la liberté et la solidarité. Et c’est pour cette raison qu’elle défend l’universalisme des droits et de l’anti-sexisme. Aujourd’hui, plusieurs divisions marquent les combats féministes, dont celle entre le féminisme universaliste et le féminisme intersectionnel. Pourtant, de nombreux points de convergence existent et méritent d’être mis en évidence.
La laïcité milite pour l’émancipation des individus, mais aussi de l’État et des institutions publiques de toute influence religieuse ou idéologique. L’égalité entre tou.te.s les citoyen.ne.s, qu’importe leur sexe, leur couleur de peau, leur religion, leur origine, leur classe sociale, etc., est au cœur de son combat. Tout en reconnaissant les différences propres à chaque individu, la laïcité est une condition sine qua non du vivre ensemble. L’universalisme fait partie du principe de laïcité et réclame qu’un ensemble de droits humains soient garantis pour tou.te.s. Le féminisme laïque correspond donc à une lutte pour l’égalité entre femmes et hommes qui serait débarrassée d’influences religieuses et idéologiques. Il refuse une quelconque différence entre les rôles ou leur attribution spécifique sur la base du genre, puisque les stéréotypes féminins et masculins sont perpétués par l’éducation et n’ont rien de « naturel ». Le féminisme laïque souhaite s’affranchir de la construction actuelle de la société telle qu’elle a été créée par les hommes. Cette construction implique que les mœurs, les croyances et la législation sont toutes vouées à faire des femmes des êtres inférieurs et dominés, comme Simone de Beauvoir l’a savamment démontré dans Le Deuxième Sexe. Afin de parvenir à cette émancipation, le féminisme laïque lutte contre toutes les formes de violence où qu’elles soient, puisque celle dirigée contre les femmes est de nature patriarcale dans tous les pays du monde. Ces violences ne s’exercent cependant pas de la même façon selon les contextes et les cultures, et cela est bien entendu pris en compte. Enfin, on l’oublie souvent, beaucoup de combats féministes laïques ont mené à de grandes victoires telles que la contraception, le droit à l’interruption volontaire de grossesse, l’éducation à la sexualité, le droit à l’instruction, etc.
Une laïcité dévoyée et mal perçue
En théorie, la laïcité et ses valeurs ressemblent presque à une utopie : chacun·e vivrait en paix avec son ou sa voisin·e et les croyances irrationnelles et infondées n’auraient pas lieu d’être. Mais en réalité, la laïcité souffre aujourd’hui, et cela pour plusieurs raisons. Ce principe est incompris par une partie des jeunes, il fait régulièrement l’objet d’une récupération et d’une instrumentalisation par l’extrême droite, ce qui n’arrange rien et favorise la confusion. De plus, de nombreux outils de communication comme les réseaux sociaux sont investis par les mouvements militants, et la laïcité peine quelquefois à faire entendre sa voix face aux messages très viraux que des groupes structurés publient massivement. La volonté de parvenir à ancrer des principes universels dans le monde entier est aujourd’hui perçue comme la domination de l’Occident qui impose ses valeurs aux autres cultures dans différentes régions du monde. Ces critiques doivent pouvoir être entendues afin de permettre au mouvement laïque de s’opposer de façon pédagogique à ces contrevérités et de moderniser la diffusion de ses valeurs.
Un féminisme laïque en proie aux critiques
Le féminisme tel qu’il est défendu aujourd’hui par le mouvement laïque est en butte à des critiques, notamment de la part du mouvement intersectionnel, mais d’autres divisions existent. Tous les féminismes ont pourtant pour visée ultime l’égalité réelle entre femmes et hommes. Mais leurs façons de procéder diffèrent plus ou moins fortement. Les féministes différentialistes opèrent notamment des différenciations essentialisantes, par exemple : les femmes seraient naturellement plus sensibles que les hommes. On peut cependant déconstruire facilement ces stéréotypes, étant donné que les qualités et les défauts attribués généralement à chaque genre résultent d’une construction sociale. Il est intéressant de noter que les féministes dites « naturalistes », qui connaissent actuellement une forme de renouveau, sont en réalité apparues dans les années 1970. Leur credo de base : accorder une très grande importance à une vie la plus « naturelle » possible, ce qui revient parfois à refuser certains médicaments, à refuser l’accouchement à l’hôpital – en dédaignant les risques d’un accouchement à domicile –, à opter pour une contraception naturelle faillible, etc. Les féminismes naturalistes sont souvent associés à des féminismes religieux, même si ce n’est pas le cas de tous les courants.
Si la diversité des féminismes est aussi vieille que ses combats, la division entre les féministes laïques et intersectionnelles est peut-être plus récente et certainement la plus médiatisée, surtout en France. Ces dernières années, les jeunes générations en particulier se sont emparées du mouvement intersectionnel, qui prône une convergence des différentes luttes sociales (antiracisme, LGBTQIA+, anti-classisme, anticapitalisme, etc.), ce qui fait écho à des enjeux qui traversent nos sociétés. Car, si ce nouveau mouvement a pris autant d’ampleur, c’est bien qu’il est venu combler un vide… Et donc que la laïcité a, semblerait-il, échoué quelque part. On peut émettre plusieurs hypothèses concernant cet échec. Celle, par exemple, selon laquelle les figures emblématiques du féminisme laïque, apparu en France pendant l’avènement historique des Lumières, ne sont pas assez représentatives de la diversité aujourd’hui, car femmes et hommes de couleur de peau blanche. Les idées laïques d’égalité n’étaient originellement pas toujours associées par tous ses penseurs et toutes ses penseuses à la condamnation de l’esclavagisme ou de la colonisation, même si la plupart les désapprouvaient. Ces questions de colonialisme et de décolonialisme ont été abordées tardivement ou de façon trop peu audible par la laïcité, aussi les jeunes sont davantage enclin.e.s à rattacher les idées laïques à la pérennisation du colonialisme.
La laïcité, un indispensable outil d’émancipation
S’il est toujours utile et constructif d’analyser ses échecs, il ne faut pas pour autant « jeter le bébé avec l’eau du bain » ni opposer les courants féministes de manière binaire. Car, si nous revenons à l’un des combats essentiels du féminisme, la laïcité est indissociable de la lutte pour un réel affranchissement du joug patriarcal. Aujourd’hui, en effet, les religions gagnent de plus en plus de poids et influent sur des droits qui semblaient acquis, ou qui ne le sont pas encore dans nos sociétés. Le droit à l’IVG, par exemple, est régulièrement menacé dans tous les pays du monde où il est autorisé, et il n’est pas légalisé dans ceux où la religion exerce un rôle prépondérant, comme en Pologne. Les féministes laïques ne se positionnent pas « pour ou contre l’IVG », mais estiment que les femmes doivent être libres de pouvoir décider pour elles-mêmes, en toute connaissance de cause. Et préserver l’État de l’influence des religions permet justement de pouvoir garantir ce droit, indépendamment des croyances de chacun.e. La laïcité constitue donc un gage de liberté.
Par ailleurs, comme tout mouvement et tout principe, elle doit pouvoir évoluer et s’adapter en fonction des époques, afin de garder sa légitimité et sa crédibilité. Cela ne signifie pas forcément réinventer de nouvelles valeurs, puisque en l’occurrence celles qui lui sont chères demeurent au centre des combats à mener pour toutes et tous, au cœur de ce monde. Mais il importe certainement de trouver un moyen de les faire entendre dans chaque contexte. Pour pouvoir réconcilier les jeunes avec le féminisme laïque, plusieurs explications s’imposent.
Diversité et différences
La laïcité ne souhaite pas que soit appliqué au monde entier un seul modèle sociétal, qui ne prendrait pas en compte le contexte de chaque culture et les réalités du terrain – la diversité constituant de facto une richesse. Elle souhaite pouvoir garantir à tou.te.s un socle de droits fondamentaux, dont la plupart sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Si chaque jeune lisait les trente articles qui la composent, il ou elle aurait sûrement des difficultés à trouver un article avec lequel il ou elle ne serait pas d’accord, car tous répondent à l’idéal qu’on a d’une société égalitaire et démocratique. Le défi est de pouvoir faire respecter ces droits en les mettant en concordance avec différents contextes et situations qui existent aujourd’hui et qui se sont ajoutés à la DUDH de 1948.
La laïcité n’exige pas non plus une uniformisation de la communauté humaine, ce serait contraire à ses valeurs ! Elle n’entend pas gommer les différences pour former une société qui serait en apparence plus unie; à l’inverse, elle entend apprendre à chacun.e à vivre avec l’autre, dans le respect des différences individuelles. En conservant bien entendu, c’est crucial, la liberté de croire ou de ne pas croire. Ce ne sont pas des phrases creuses ou dénuées de réalité, mais bien l’idéal vers lequel tend la laïcité et qui justifie la lutte en son nom.
Il est clair que certains débats féministes cristalliseront probablement toujours les tensions : la question de la prostitution, de la GPA, du voile, etc. Il n’existe pas un seul discours pour chaque sujet, et le féminisme laïque le sait, puisqu’il utilise la méthode du libre examen dans le but de subjectiver et d’adapter ses réponses au vécu des personnes. Ce qui est en revanche dommageable, c’est que certains médias ont tendance à relayer ce qui nous divise plutôt que ce qui nous rassemble.
À l’évidence, de nombreux points de convergence peuvent être trouvés dans tous les courants féministes ! Il existe pléthore d’exemples, à commencer par la question des violences. Toutes les féministes, sans exception, s’évertuent à les éradiquer. L’antiracisme, important pour les mouvements intersectionnalistes, constitue aussi l’un des grands combats actuels de la laïcité. Et le féminisme laïque a aussi intégré la méthode sociologique de l’analyse intersectionnelle pour mieux combattre les discriminations croisées. D’ailleurs, et la boucle sera bouclée, des féministes intersectionnelles se revendiquent également comme laïques, preuve que les deux notions peuvent être alliées. Même si, comme entre tous les courants de pensée, des différences existent, nous sommes plus fortes ensemble pour nommer, chiffrer, combattre les discriminations sexistes, racistes, classistes, validistes, etc. C’est le meilleur moyen de parvenir à les éliminer.