Espace de libertés | Février 2021 (n° 496)

Soudan  : un fragile espoir de liberté


International

Fin de la criminalisation de l’apostasie, interdiction de l’excision, projet de ratifier la convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes et de séparer la religion de l’État  : les choses bougent vite au Soudan depuis le succès initial de la révolution en 2019. La transition démocratique est un grand espoir pour le pays, mais fait aussi face à de graves dangers.


« Liberté, paix, justice », c’est la revendication en forme de devise des manifestants qui ont réussi ce qui semblait impensable  : renverser la brutale dictature d’Omar el-Bachir. Le dictateur avait instauré un régime de terreur fondé sur l’application rigoriste de la loi islamique et l’arbitraire des forces armées. En 2019, au terme de nombreux mois de manifestations pacifiques, endeuillées par des centaines de morts, l’opposition démocratique est parvenue à faire céder les militaires. Ceux-ci ont accepté de signer la « déclaration constitutionnelle », un accord de partage du pouvoir prévoyant la tenue d’élections libres après une période de transition de trois ans et trois mois.

Ce résultat a été rendu possible par le courage des manifestants et le dynamisme de l’opposition politique et de la société civile, malgré les persécutions subies sous la dictature. Le moteur de la révolution était l’Association des professionnels du Soudan (SPA), une organisation regroupant notamment des employés du secteur de la santé et de l’enseignement et des avocats. D’autres mouvements informels rassemblant surtout des jeunes et des femmes étaient également très actifs. Les principaux groupes et partis se sont fédérés dans les Forces pour la liberté et le changement (FFC), qui a mené les négociations avec les militaires.

An Ethiopian refugee, who fled the fighting in Tigray Region, walks past a mosque at a border reception centre (Village 8) in Sudan's eastern Gedaref State on November 29, 2020. (Photo by ASHRAF SHAZLY / AFP)

Les femmes soudanaises ont joué un rôle de premier plan dans la révolution. © Ashraf Shazly/AFP

Des membres du FFC participent à un organe exécutif, le Conseil souverain, dans une cohabitation inconfortable avec leurs anciens tortionnaires. Le Conseil est en effet composé de six membres civils, et de cinq militaires, dont le général Mohammed Hamdane Daglo dit « Hemetti », chef de milices tristement célèbres pour les atrocités commises au Darfour, et à Khartoum pendant la révolution. Le gouvernement, dirigé par un civil, est presque entièrement composé de représentants de l’opposition démocratique.

Une «nouvelle aube» pour le Soudan

Le ministre de la Justice Nasredeen Abdulbari a annoncé au Conseil des droits de l’homme de l’ONU la « nouvelle aube » qui se lève sur le pays. Il a affirmé sa volonté d’abroger « toutes les lois contraires aux droits de l’homme » et que le Soudan ratifie la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Les mois qui ont suivi ont donné lieu à l’adoption de nombreuses réformes, parmi lesquelles la suppression du « crime » d’apostasie jusqu’alors puni de mort. Les mutilations génitales féminines sont dorénavant interdites, et leur perpétration est passible d’une peine d’emprisonnement. Abrogées, également, les lois qui contraignaient les Soudanaises à demander la permission aux hommes de leur famille pour voyager avec leurs enfants et qui codifiaient leur tenue vestimentaire.

Les femmes soudanaises ont joué un rôle de premier plan dans la révolution, illustré par l’image devenue virale d’une étudiante, Alaa Salah, haranguant la foule au plus fort des manifestations, en avril 2019. Les Soudanaises ont continué à faire entendre leur voix pour que les autorités de transition prennent des mesures garantissant leurs droits. Les progrès réalisés ne sont qu’un premier pas, et il reste encore beaucoup à accomplir. D’abord, traduire l’interdiction des mutilations génitales féminines dans les faits, alors que neuf Soudanaises sur dix en ont subi, d’après les Nations unies. Ensuite, les féministes soudanaises exigent d’aller plus loin et d’abroger d’autres lois discriminant les femmes toujours en vigueur, notamment la loi sur le statut personnel inspirée de la charia. Elles critiquent également la faible représentation des femmes au sein du gouvernement et l’absence d’une loi pénalisant le harcèlement sexuel. En outre, les lois pénalisant les relations homosexuelles ont été adoucies, mais pas supprimées…

Vers la laïcité?

En rupture avec le régime islamiste d’Omar el-Bachir, la « déclaration constitutionnelle » ne fait aucune mention de l’islam dans la nouvelle organisation politique, sans pour autant affirmer la laïcité. Cependant, la création d’une république laïque est une revendication essentielle de la plupart des mouvements rebelles, actifs dans les régions périphériques (Darfour, Kordofan, Nil Bleu). Ceux-ci demandent une plus grande inclusion des ethnies minoritaires et l’égalité de tous les citoyens, que la laïcité permettrait de garantir.

Au cours de négociations entre le Premier ministre Abdallah Hamdok et Abdelaziz al-Hilu, chef d’un mouvement rebelle influent, l’adoption du principe de laïcité a été évoquée. Si le terme n’a pas été retenu – car trop controversé, surtout pour les militaires membres du Conseil souverain –, la déclaration de principes adoptée à l’issue des négociations entérine la « séparation de la religion et de l’État ». Il s’agit d’une avancée remarquable, mais qui doit encore trouver sa place dans la future Constitution.

Le nouveau pouvoir a également signé un accord de paix avec une coalition de mouvements rebelles à Juba (Soudan du Sud), un événement historique dans un pays marqué par des décennies de conflits armés.

Une transition menacée

De grands risques pèsent sur la transition. Une tentative d’assassinat a déjà eu lieu contre le Premier ministre. Des prédicateurs radicaux fulminent contre l’abrogation de certaines des lois dérivant de la charia, et les mouvements islamistes, tels que les Frères musulmans, demeurent puissants. Le danger provient aussi des militaires, qui détiennent toujours un pouvoir considérable  : forces armées, milices, et surtout des revenus colossaux générés par leur contrôle de pans entiers de l’économie.

Par le passé, le Soudan a connu d’autres courtes périodes de démocratie, chaque fois interrompues par un coup d’État. Cette fois encore, le risque est important que les sbires de l’ancien régime n’acceptent pas la remise en cause de leurs intérêts. Néanmoins, la révolution a fait naître, dans de larges segments de la population, l’espoir d’une société fondée sur l’égalité et les droits fondamentaux. L’appel de la liberté est universel. Comme l’a dit Abdulbari à l’ONU  : « Le peuple du Soudan a prouvé qu’il est possible de mettre fin à un régime autoritaire et de commencer le processus de création d’une société libre, juste et pacifique. La communauté internationale devrait montrer sa solidarité avec le peuple du Soudan. »